C’est maître Saito qui a créé la série des sept suburi de ken, ce n’est pas O Sensei.
C’est maître Saito qui a créé la série des six kumitachi, ce n’est pas O Sensei.
Il est bon de garder à l’esprit, quand on étudie ces exercices, qu’ils ont été mis au point dans un premier temps par le jeune Morihiro Saito pour son usage personnel, pour l’aider à comprendre la pratique extrêmement dense du Fondateur, dont il ne parvenait pas à suivre le fil, quand bien même il avait cette pratique sous les yeux chaque jour, en sa qualité de partenaire d’entraînement.
Je voudrais utiliser ce deuxième suburi pour revenir sur certains points importants pour la compréhension, et répondre par la même occasion aux questions qui sont apparues récemment sur le forum, parce qu’elles sont pertinentes, et qu’elles méritent une réponse la plus complète possible.
Quand un homme marche, chaque fois qu’il fait un pas, l’une de ses hanches effectue une rotation vers l’avant, alors que dans le même temps la hanche opposée effectue une rotation vers l’arrière. C’est normal, les hanches travaillent de manière antagoniste, ou complémentaire si l’on préfère, autour de l’axe vertébral. Mais cela ne suffit pas à définir irimi-tenkan, et on ne dit pas d’ailleurs d’un homme qui marche qu’il fait de l’Aikido, ou qu’il fait irimi-tenkan.
Irimi-tenkan est une action qui a besoin de l’attaque d’un adversaire pour se manifester. C’est une action qui ne peut exister sans l’autre. Evidemment, dans le mouvement d’irimi-tenkan, les hanches travaillent également en complémentarité, comme c’est le cas dans tout mouvement rotatif exécuté par un homme, mais personne n’invoquerait cette circonstance pour dire par exemple que la marche est un exercice préparatoire à irimi-tenkan. La marche et irimi-tenkan n’ont aucun rapport.
Et bien, le deuxième suburi d’aiki-ken n’est rien de plus qu’un pas exécuté en avançant la jambe arrière, comme on le fait sur un trottoir en allant à la boulangerie. A cet égard, rien ne distingue le deuxième suburi de la marche, si ce n’est qu’on tient un ken dans les mains. Ce deuxième suburi de ken n’est donc en rien une préparation ou une introduction à la pratique d’irimi-tenkan, pas plus que ne l’est la marche.
Une des fonctions essentielles de ce suburi est de matérialiser une ligne d’attaque, et c’est pourquoi maître Saito insiste sur la vidéo pour que la frappe soit faite dans une ligne impeccablement droite.
Dans la mesure, comme nous venons de l’indiquer, où le principe irimi-tenkan ne peut être mis en œuvre dans ce type de mouvement, et dans la mesure, comme nous l’avons expliqué ailleurs sur ce site, où il n’y a pas d’Aikido sans irimi-tenkan, il faut conclure que le deuxième suburi n’est pas un mouvement d’Aikido.
Maître Saito n’a jamais prétendu que les sept suburi qu’il a mis au point étaient de l’Aikido, il a seulement dit qu’il a eu besoin d’eux pour comprendre ce que faisait O Sensei, c’est bien différent.
Quand on apprend la calligraphie au Japon, on commence par faire avec le pinceau un simple trait vertical. Ce n’est pas encore de la calligraphie, ce n’est pas encore un idéogramme, c’est un simple trait vertical. Et l’on fait ce trait vertical pendant des mois, rien que ce trait vertical, parce qu’il n’est pas facile de faire un trait vertical correct avec un pinceau. C’est ensuite seulement que commence l’étude du premier idéogramme, qui est un simple trait horizontal, ichi (un). Alors commence véritablement l’étude de la calligraphie.
Le trait vertical c’est le suburi du ken, c’est shomen. Il faut faire shomen avant de faire de l’Aikido. C’est ensuite seulement que commence l’étude de l’Aikido.
Imagine-t-on qu’on puisse se satisfaire en calligraphie d’un trait vertical "légèrement" incliné ? Non bien entendu, et pourtant là aussi certaines contraintes biomécaniques pourraient laisser penser qu’il est impossible de faire un trait parfaitement vertical (la tenue du pinceau, la position du poignet, l’usage du corps entier pour écrire).
Tout comme le trait de pinceau, shomen uchi ne peut être que parfaitement vertical. Mais il est aussi difficile de couper verticalement avec un ken que de faire un trait vertical avec un pinceau. En effet, le mouvement rotatif des hanches, aussi faible soit-il, gêne la verticalité de la coupe. Voilà pourquoi on commence par l’étude des suburi, parce que ce sont des exercices qui réduisent la rotation des hanches au strict minimum. Dans ce strict minimum, on découvre avec la pratique qu’il existe une fenêtre, un court instant où les pieds sont en carré et les épaules de face. Cette fenêtre permet de descendre le sabre dans une verticale parfaite, le sabre coupant alors juste avant que ne se pose le pied avant.
Mais ce n’est pas ainsi que maître Saito enseigne les suburi. Il y coupe en effet de telle sorte que le ken arrive en même temps que la jambe. Ce faisant, il est inévitable que la lame du sabre prenne une très légère angulation, et on peut vérifier cela sur la vidéo : l’angulation apparaît dans la seconde partie du mouvement, après le changement de hanmi, elle en est la conséquence.
Si maître Saito fait cela dans les suburi, pourquoi alors a-t-il si souvent expliqué qu’il fallait faire le contraire, en martelant que dans la coupe le sabre doit toujours arriver avant la jambe. Et cette vérité peut aussi être vérifiée sur des photos ou vidéos de lui que l’on trouvera sur ce site.
Cette "contradiction", qui n’en est pas une en réalité, signifie ceci : les suburi ne respectent pas certains principes de la coupe aiki avec un sabre, mais, ils permettent néanmoins à celui qui étudie ces suburi avec patience, de repérer et de comprendre ces principes. C’est justement là leur raison d’être : aider à comprendre ce que faisait O Sensei.
Si l’on pousse ce raisonnement à son terme, alors ce n’est pas seulement le premier suburi qui permet un shomen avec une verticalité parfaite, ce sont le premier, le deuxième, le troisième et le quatrième suburi de l’Aiki-ken, c’est-à-dire les quatre suburi qui mettent en œuvre shomen uchi. On trouve en revanche une angulation de la lame dans les trois derniers suburi parce qu’ils mettent, eux, en œuvre yokomen uchi et non plus shomen uchi.
Autrement dit, répéter le suburi dans la forme indiquée par maître Saito, sans y chercher ce qui fait la caractéristique fondamentale de la coupe shomen, n’est qu’une gymnastique. Et cette gymnastique ne permettra jamais de découvrir la vérité de shomen. Cette vérité, c’est qu’il est possible d’accomplir un shomen parfaitement vertical dans une action irimi-tenkan. Et au-delà de cet aspect purement technique des choses, cette vérité, c’est que l’Aikido fait référence à l’axe du monde, or l’axe du monde est parfaitement vertical, il n’est pas vertical à 99 % seulement. Si la coupe shomen du sabre est bien en rapport avec l’axe du monde, si elle parle bien de lui, c’est qu’elle est nécessairement aussi parfaite que lui, toutes proportions gardées, et toutes choses égales par ailleurs.
Ceci peut sembler verser dans l’ésotérisme, et chacun est libre de rejeter la dimension métaphysique de l’Aikido, mais alors il faut aussi rejeter sa dimension physique, car c’est l’enseignement même du Fondateur que la pratique physique de l’Aikido repose tout entière sur un modèle métaphysique.