Dans la première séquence de jusan no jo (kata de jo des 13 frappes), on compte quatre temps, mais il y en a cinq en vérité.
En effet, entre le temps 3 et le tsuki final du temps 4, s’intercale un temps de frappe sur le jo qui n’est pas comptabilisé dans la liste des 13 frappes, mais qui est bien réel :
Cette frappe à contre-pied a un caractère paradoxal, elle semble redondante et inappropriée dans l’exercice tel qu’il est proposé contre un seul adversaire. C’est pourquoi certains professeurs ont tout simplement supprimé ce temps de frappe dans leur enseignement. C’est là une manifestation de l’ego qui conclut, parce qu’il ne comprend pas, qu’il n’y a rien à comprendre.
D’autres professeurs, qui veulent rester fidèles à la méthode de maître Saito, enseignent cette frappe. Mais comme ils n’en voient pas davantage la nécessité, ils la transforment en une frappe latérale sur le jo adverse, frappe qui, dans leur esprit, a pour but d’écarter ce jo afin de permettre le tsuki qui va suivre.
C’est là une erreur que la simple logique permettrait d’éviter. En effet, le temps qui précède immédiatement cette frappe, le temps 3 donc, est une frappe violente de bas en haut sur la main gauche d’uchi (dans la méthode du moins). Si uchi est véritablement frappé de la sorte, sa main est brisée et il lâche son jo. C’est donc un absolu non-sens d’écarter, au coup d’après, un jo qui ne peut pas gêner puisqu’il n’est plus là en réalité.
Ce n’est là que la logique de l’exercice d’étude, mais plus fondamentalement il existe une règle d’or en Aikido : otonashi no ken ou otonashi no jo. Cela veut dire le ken ou le jo silencieux, cela veut dire qu’on ne lutte jamais contre le ken ou le jo de l’adversaire, on ne bloque pas son arme, on ne la dévie pas, on ne la touche pas. L’arme de tori n’a pour cibles que les parties du corps d’uchi, jamais son arme. L’idée que l’on puisse se protéger d’une arme, ou la dévier, et répondre ensuite à l’attaque, est étrangère à l’Aikido. En Aikido, il n’y a qu’irimi, et irimi est une entrée dans l’attaque adverse, pas après cette attaque. L’exercice, l’entraînement, exigent évidemment de frapper le jo en lieu et place du corps, et cela peut éventuellement générer une confusion. Qu’on garde à l’esprit alors que le boxeur, s’il frappe sur un sac à l’entraînement, sait bien que ce n’est pas là son véritable objectif.
J’ai déjà expliqué cette erreur classique en 2018, dans un article intitulé "Jusan no jo : destruction de preuve". J’ai complété mon propos en 2020 dans un article intitulé "Jusan no jo : application", où j’ai expliqué comment seule la pratique dans les quatre directions permet de comprendre la raison de cette frappe sur le jo entre les temps 3 et 4.
Nous sommes en 2022, et je ne crois pas inutile de revenir encore une fois sur ce problème de compréhension du jusan no kata, car c’est une parfaite illustration du principe qui veut qu’on ne puisse pas résoudre un problème à partir du niveau de conscience qui l’a créé. Il n’est pas possible en effet de trouver - au sein de la méthode - une solution au problème posé par l’exécution de cette frappe qui semble illogique. Il faut, pour en trouver la logique, quitter la méthode et s’aventurer au-delà des exercices en ligne avec un adversaire unique. Seule la pratique dans les quatre directions permet d’éclairer certains gestes de la méthode, or la pratique dans les quatre directions n’appartient pas au domaine de la méthode.
Il n’est peut-être pas inutile non plus de répéter ici ce que j’écrivais il y a deux ans :
Chaque temps d’un kumijo (ou d’un kumitachi) correspond à une frappe sur un nouvel adversaire : dans la réalité on ne frappe pas deux fois de suite le même adversaire, d’abord parce qu’il n’y a pas de nécessité à cela, et surtout parce qu’il n’y a pas le temps pour cela dans le contexte d’une attaque portée simultanément par plusieurs adversaires venant de directions différentes.