Ce sont merveilles culinaires que l’olla-podrida et le pot-au-feu, mais certains mélanges s’avèrent parfois mauvaise cuisine.

En oubliant l’enseignement d’O Sensei, on a mélangé deux choses en Aikido qui ne vont pas ensemble : la position et le mouvement.

La position, faut-il le rappeler, est un état d’immobilité. Dans une position, l’homme est arrêté, il est posé comme est posé le vase sur l’étagère du salon, il ne bouge pas, il peut rester longtemps ainsi, imperturbable.

En Aikido il y a une position unique, c’est hanmi, et il n’y a rien d’autre qu’hanmi en tant que position. Hanmi est ce qui précède et ce qui suit immédiatement le mouvement. Tout ce qui existe avant ou après hanmi n’est pas position mais mouvement. O Sensei est sans ambiguïté sur ce point dans son livre "Budo". 

Bien sûr le corps humain a besoin d’appuis dans l’exécution d’un mouvement. Quand le premier pied quitte la position hanmi pour permettre la frappe (le pied avant ou le pied arrière), quand il quitte le triangle donc, la nouvelle figure dessinée au sol par les deux pieds est un carré, il ne peut pas en être autrement puisque le second pied n’a pas encore bougé à ce stade. Mais cette nouvelle figure n’est pas une position, c’est un appui pris au cœur d’une action, d’une dynamique, on l’appelle kenka goshi. Confondre cet appui transitoire avec une position, c’est-à-dire avec un temps d’arrêt, avec un temps d’attente, est un malentendu total. Kenka goshi n’est pas une position, c’est un moment éphémère de l’action, un appui nécessaire au mouvement.

Assimiler les appuis à des positions est une incohérence. Car une chose fondamentale empêche les appuis d’être des positions : c’est la dynamique, la dynamique de l’action, qui est telle que rien ne peut ni ne doit jamais s’y arrêter. Mouvement et position sont de ce point de vue antinomiques.

La vidéo montre le caractère carré de l’appui au moment de la frappe, cet appui naît de la rupture du triangle dans une direction nouvelle :

Attention, ce moment de frappe n’est pas un moment où l’on demeure, car il y a péril en la demeure. C’est un passage, un bref instant, immédiatement suivi du retour au triangle par le rattrapage du pied arrière. 

Hanmi est l’origine du mouvement d’Aikido parce que la position triangulaire est la seule qui ouvre le corps vers les six directions de roppo. Afin de toujours commencer le mouvement à partir de hanmi, il est évidemment nécessaire de revenir à hanmi à la fin de tout mouvement. O Sensei explique cela. Et c’est alors seulement, une fois parvenu à la nouvelle position hanmi, que l’on se trouve à nouveau en position, prêt pour le mouvement suivant. 

Si le triangle est une figure de la mobilité, le carré est au contraire une figure de la stabilité, de l’ancrage au sol, de l’enracinement, il est tout l’opposé du mouvement. Imaginer que le carré puisse être une position d’Aikido, revient à penser que l’enracinement soit propice au mouvement. C’est absurde, les arbres ne marchent pas le long des routes.

Cette consolidation et cette stabilité par le carré sont en revanche indispensables à la puissance de la frappe, et c’est pourquoi celle-ci doit avoir lieu sur l’appui carré des pieds, juste avant que le pied arrière ne ramène le corps en position triangulaire. 

Avant, car il faut en effet bien voir ceci : le retour à hanmi entraîne bio mécaniquement un retrait du corps qui a pour effet d’éloigner celui-ci de la cible, c’est même là une des fonctions du retour à la position hanmi. Placer la frappe dans ce temps d’effacement et de retrait du corps est une erreur fondamentale, car la hanche arrière entraîne à ce moment le ken vers l’arrière, l’éloignant ce faisant de la cible qu’il veut atteindre. Je suis bien obligé de dire ceci à l’immense majorité des pratiquants d’Aikido qui s’évertuent à couper en effaçant consciencieusement la hanche arrière : on ne coupe pas en hanmi. O Sensei ne coupait pas en hanmi, regardez ses photos.

Pour résumer tout cela en quelques mot : hanmi est la seule origine du mouvement d’Aikido, et le mouvement d’Aikido est un éternel retour à la position hanmi, mais entre deux positions hanmi il n’y a pas de position, il y a une dynamique construite sur les appuis nécessaires au mouvement, ces appuis ne doivent surtout pas être confondus avec des positions.

Salmigondis est le terme qui convient à la purée intellectuelle moderne qui enseigne doctement qu’on utilise en Aikido plusieurs positions. Une telle croyance montre l’incompréhension de la relation qui existe entre position et mouvement en Aikido, et une méconnaissance des possibilités exceptionnelles et du caractère incomparable de la position hanmi quant au déplacement.

Je ne suis pas étonné que l’Aikikai, et le budo sportif à sa suite, n’aient pas une claire vision du rapport unique et très spécifique entre la position hanmi et le mouvement, puisqu’ils ont perdu la connaissance traditionnelle. Mais je trouve inquiétant que le fils de maître Saito, Hito Hiro Saito lui-même, enseigne aujourd’hui les figures du mouvement que sont hito e mi et kenka goshi comme des positions… ce qu’elles ne sont en aucun cas.

Je ne cherche ici à offenser personne, regarder la réalité et la dire ne sont pas des péchés.