Pour qu’une saisie soit efficace elle doit être appliquée au bon endroit du corps d’uke, c’est-à-dire à l’endroit qui permettra de trouver et d’utiliser au mieux le déséquilibre de ce dernier, que ce soit au poignet, au coude, à l’épaule, ou ailleurs. L’intérêt premier d’une saisie sur un adversaire est de se lier à lui pour le déséquilibrer afin de le contrôler.
Mais il est interdit d’aller de manière directe et linéaire au point idéal de saisie. D’abord parce que la précision ne serait pas garantie dans ce cas, et qu’il serait facile de manquer le point exact d’application de la saisie, mais surtout parce qu’en faisant ainsi violence à uke, en lui imposant brutalement une prise dont il n’a pas envie, on susciterait sa réaction et son opposition.
Toute saisie doit donc être conduite de manière progressive, dans le respect des trajets spiralés qui sont le passage obligé de forces opposées en apparence, mais qui deviennent complémentaires dans ces chemins communs où elles sont réunies par la rotation de tori. La prise (dori) est le point d’équilibre où ces forces se nouent, au moment éphémère de la technique, pour être déliées immédiatement après.
La saisie la plus contraignante n’est pas brutale, elle est le résultat d’une harmonie de forces qui doucement, calmement, mais fermement, mènent à la projection ou à l’immobilisation d’un adversaire. Il n’y a là aucune violence, parce qu’aucun conflit ne s’installe entre les forces. Le lien, quand il est authentique, est au contraire la manifestation de la profonde sagesse naturelle, de l’ordre qui gouverne les changements et la transformation permanente de l’univers. Rappelons ce qu’en dit Giordano Bruno :
Il est nécessaire que celui qui doit former un lien possède en quelque façon une compréhension d’ensemble de l’univers, s’il veut être capable de lier un homme.
Giordano Bruno – "Des liens"
Et mettons ces propos en parallèle avec l’enseignement d’O Sensei :
Le principe essentiel de l’Aikido est de s’harmoniser avec le mouvement de l’univers, c’est devenir Un avec l’univers même.
"Paroles du Fondateur – Takemusu Aiki"
En Aikido on apprend bien sûr à lier l’autre par le corps, mais il n’est pas possible de lier par le corps si l’on ne lie pas aussi par l’esprit. Et la dimension à laquelle parvient ici l’Aikido est bien au-delà d’une simple méthode de combat. Nous touchons ici ce qu’on appelle wu-wei dans la tradition taoïste, ou comment agir sans agir, c’est à dire comment agir pleinement sans jamais entrer en conflit avec le mouvement naturel de l’univers.