Roppo #3
Le principe du déplacement qui a été exposé dans Roppo #2 est identique à lui-même dans tous les cas de figure, c'est-à-dire dans les quatre quartiers. On pourrait lui appliquer la maxime que Jacques Bernoulli choisit pour la spira mirabilis: « eadem mutata resurgo » (je renais, changé à l’identique).
Je me limiterai donc, pour faire comprendre un peu mieux ce déplacement, à le détailler dans un seul des quartiers (le Sud-Est). Etant bien entendu que ce qui vaut là vaut partout ailleurs.
Sens opposé des aiguilles d’une montre, la hanche droite est directrice et frappe E puis S dans sa rotation:
Sens des aiguilles d’une montre, la hanche gauche est directrice et frappe S puis E dans sa rotation:
Nous répétons ici ce qui a été expliqué dans « Roppo #2: il y a deux manières symétriques de passer de Hanmi à Irimi 2:
- – Le pied droit (vert) se déplace d’abord dans le secteur 7 pour frapper E (direction intérieure), le pied gauche le suit dans le secteur 8 pour frapper S (direction extérieure).
- – Le pied gauche (bleu) se déplace d’abord dans le secteur 8 pour frapper S (direction intérieure), le pied droit le suit dans le secteur 7 pour frapper E (direction extérieure).
Il y a une seule rotation à chaque fois, la même hanche directrice donc pour deux frappes. Les flèches rouges indiquent la frappe, dans le sens de rotation de la hanche directrice.
Nota bene:
Quand la frappe choisie pour la direction initiale est ue kara shita made (du haut vers le bas) – yokomen uchi par exemple – la frappe complémentaire sera effectuée du bas vers le haut (shita kara ue made) – gyaku yokomen donc. Au contraire, quand la frappe initiale est shita kara ue made (du bas vers le haut), la frappe complémentaire sera effectuée du haut vers le bas (ue kara shita made).
Il est indispensable que cette condition soit respectée pour que deux adversaires puissent être frappés en un seul mouvement.
Ce système de déplacement de l’Aikido permet ainsi – à chaque rotation – de couper deux adversaires en un seul mouvement, en entrant à chaque fois résolument dans n’importe lequel des quatre quartiers du cercle.
Mais ce n’est pas tout: cette double coupe est en même temps, pour uke tachi, le moyen le plus rationnel et le plus efficace de s’éloigner avec une sécurité optimale du lieu de convergence des attaques multiples dont il est la cible. Cet éloignement du danger par la frappe et la pénétration du cercle adverse est précisément ce que l’on désigne en Aikido par le terme d’irimi. On comprend ainsi pourquoi il n’y a pas en Aikido de protection du type esquive, parade, blocage etc.: c’est la coupe, et elle seule, qui place uke tachi en position de sécurité, à distance suffisante de sa position initiale. L’unique protection d’uke tachi est sa coupe. Voilà pourquoi maître Saito a pu écrire cette phrase qui autrement resterait incompréhensible:
L’Aikido, dans sa forme Ki véritable, est un art féroce perçant droit à travers le centre d’opposition. La nature de l’art est telle que vous n’êtes pas censé vous adapter à votre partenaire au moyen d’un large détour de votre corps, mais qu’il est au contraire exigé que vous trouviez votre chemin devant vous, au moyen de la rotation de vos hanches.
— Morihiro Saito, “Traditional Aikido”, volume 5, p 36
J’ajoute la considération suivante qui relève pour l’instant d’une intuition personnelle née de ma pratique du sabre selon le déplacement que je viens d’expliquer. J’ai acquis, à travers l’expérience d’une telle pratique, le sentiment que le katana a été conçu, et façonné au cours des âges, dans la connaissance et dans le respect de ce déplacement rigoureux, et que sa forme et sa lame ont été adaptées, ajustées progressivement par les forgerons japonais, à la nature parfaite du déplacement en question. Je pense en conséquence, que le sabre japonais ne peut livrer tout son potentiel, et être manié au maximum de ses capacités et de son efficacité, que dans la mesure où sont respectées les lois adéquates du mouvement, telles qu’elles viennent d’être décrites, et en harmonie avec lesquelles il a été créé.
Ce principe de déplacement est une conséquence de la rotation du corps en irimi-tenkan, qui est l’origine du mouvement. Pour cette raison, et qu’il ait dans les mains un sabre, un jo, un éventail, ou que ses mains soient vides, tori se déplace toujours de la même manière, et frappe invariablement avec le même mouvement du corps.
C’est cela qu’on appelle en Aikido le riai.
Philippe Voarino, décembre 2014