Si l’Aikido se distingue d’autres arts martiaux, c’est notamment par la relation très particulière qui unit entre elles toutes les techniques de l’art.
Cette relation, qui porte le nom de riai en japonais, est souvent évoquée dans les cours d’Aikido. Elle y est généralement expliquée comme une sorte de parenté entre les techniques. Cette parenté est la plupart du temps justifiée par les similitudes que l’on trouve entre certains éléments techniques.
Shiho nage par exemple est un grand classique de ce type d’approche : tori projette uke avec cette technique, prend ensuite le sabre, frappe de la même manière exactement, et montre ainsi qu’il n’y a pas de différence entre le mouvement à mains nues et le mouvement avec le sabre.
Fort bien, et il n’est pas contestable qu’on ait de la sorte mis en évidence certaines ressemblances extérieures entre les deux techniques. Mais cela suffit-il à comprendre le riai ?
C’est un peu comme si l’on expliquait la relation qui existe entre deux jumeaux véritables en disant qu’ils ont le même nez, les mêmes oreilles, les mêmes yeux, la même manière d’être… Tout cela est vrai bien sûr, leur apparence extérieure est tout à fait semblable, mais ce n’est là qu’une conséquence de la raison qui a rendu cela possible.
Si deux jumeaux monozygotes se ressemblent, c’est parce que les deux embryons sont issus de la même cellule initiale qui s’est divisée, et qu’ils ont pour cette raison le même patrimoine génétique : il y a une cause première à leur ressemblance.
De même, il y a une origine commune à toutes les techniques d’Aikido, et c’est cette origine commune qui établit une relation entre les techniques. C’est cette origine qui doit être comprise si l’on veut se faire une idée du riai.
Le "patrimoine "génétique" commun à toutes les techniques d’Aikido, qu’elles soient exécutées à mains nues, avec un sabre, ou avec un jo, c’est la rotation de l’axe central du corps, qui déclenche un déplacement en deux pas, soit à partir de la jambe avant, soit à partir de la jambe arrière. Il n’y a pas d’autre déplacement que cela, et il est à l’origine de chaque technique d’Aikido. Ce déplacement rotatif très particulier porte le nom d’irimi-tenkan :
C’est parce qu’existe à l’origine de chaque technique ce déplacement irimi-tenkan toujours identique à lui-même, qu’on peut suivre le fil rouge qui relie entre elles toutes les techniques de l’art, et fait d’elles les membres d’une même famille.
La vidéo montre à titre d’exemple que c’est bien le même déplacement irimi-tenkan qui permet d’exécuter sankyo tout aussi bien que kote gaeshi, et ces deux options aussi bien sur un adversaire que sur deux adversaires.
Sankyo et kote gaeshi sont ici reliés par un mouvement de corps commun qui conduit à un déplacement commun. Cette identité dans la genèse des deux techniques constitue leur profonde parenté :
Or cette parenté pourrait passer inaperçue si l’on s’attachait seulement à la ressemblance extérieure des techniques, car il est vrai que les formes de sankyo et kote gaeshi sont visuellement différentes.
Mais cette différence n’est qu’une apparence, elle est superficielle, et seulement la conséquence de saisies inversées. Une telle contrainte est secondaire et appartient à la surface des choses, elle ne change rien au mouvement profond qui est commun à ces deux techniques. C’est à ce genre de profondeur qu’il faut chercher le riai.
Il existe d’autres aspects encore à cette parenté entre les techniques, par exemple, pour le cas qui nous occupe, le fait que les deux rotations de sankyo et de kote gaeshi sur l’avant-bras d’uke soient parfaitement complémentaires.
C’est qu’il y a là en vérité les deux faces d’une même technique. Un peu à la manière dont une feuille de papier possède un recto et un verso. Il ne viendrait à l’idée de personne de soutenir qu’on se trouve dans ce cas en présence deux feuilles. Il y a bien deux pages, mais une seule feuille. De même il n’y a pas deux techniques sankyo et kote gaeshi, il y a un mouvement commun qui se manifeste par des formes analogues et complémentaires, ces deux formes étant les composantes d’une même entité.
Voir le riai, c’est comme voir un arbre aux nombreuses ramifications, dont on comprend qu’elles sont toutes issues d’un tronc unique, c’est voir l’unité sous la multitude. C’est évidemment une manière d’oublier les techniques, puisqu’il n’existe plus alors à proprement parler de techniques conçues comme ces éléments distincts les uns des autres qui font le succès des catalogues d’examen au sein des fédérations d’Aikido.