A contre-courant, à rebrousse-poil peut-être, j’en suis désolé. Mais personne ne l’a vu. A l’envers, cela paraît incroyable, mais c’est pourtant la vérité. L’Aikido d’O Sensei a été enseigné à l’envers. Et si on veut le lire, c’est dans un miroir qu’il faut le regarder, tout comme on fait pour déchiffrer une écriture spéculaire.
Oh je n’ai pas ici à l’esprit une quelconque méthode, une pédagogie, ou toutes ces choses trop sujettes à interprétation et à polémique. Je parle uniquement de la technique, de la technique bien concrète, bien réelle. Et je parle du cœur de la technique, de ce qui dépend de données physiques que la nature a gravées en l’homme, de ce cœur irréductible que personne n’a le pouvoir de modifier. Et bien ce cœur technique a été présentée à l’envers, la tête en bas, depuis le début, et le mensonge est tellement énorme qu’il est passé inaperçu.
A-t-on vraiment menti d’ailleurs ? Et qui a menti ? Je ne sais pas, personne j’imagine, ce n’est pas à proprement parler un mensonge, c’est plutôt l’aveuglement d’une génération, une tromperie qui s’est installée après O Sensei, sans qu’on y prenne garde. Un égarement qui est devenu dogme, qui a tout obscurci, qui déforme l’Aikido, qui le voile, et qui empêche de comprendre. Un mensonge sans menteur, mais qui relègue au rang de jeux d’enfants les efforts pourtant sincères de vies entières consacrées à l’Aikido, et c’est à pleurer.
Personne n’a échappé à cette vague : l’Aikikai et l’Aikido moderne… officiel, Iwama, Takemusu… tous de conception différente, mais tous en porte à faux sur le fond, dans le même bain jusqu’au cou… et moi le premier, pendant trop longtemps. Toutes ces années auprès de maître Saito sans voir, et sans comprendre… je n’ai pas d’excuse, mea culpa. On peut mourir au terme d’une vie d’illusions, on peut mourir sans avoir jamais quitté le domaine du songe, c’est au fond assez indolore. Je ne sais pas pourquoi j’ai fini par ouvrir les yeux. Tout est là, à portée, tout est là depuis toujours. Et il est encore temps de renverser ce qui doit l’être, d’inverser la technique pour la mettre à l’endroit, et remettre enfin debout l’Aikido qui est pendu par les pieds depuis un demi-siècle.
J’ai longtemps réfléchi avant de rendre public le point où je suis parvenu. Autrefois je n’avais à convaincre que mes opposants, aujourd’hui je dois en plus convaincre mes propres élèves de l’immense travail qui les attend pour corriger mon propre enseignement. Certains me suivent depuis presque trente ans. Je veux leur dire que cet enseignement était jusque là le reflet fidèle d’une méthode pédagogique remarquable, mais ce n’était pas plus que cela. L’Aikido ne se trouve pas encore là. Je veux leur dire aussi que la routine est un piège aussi dangereux qu’il est confortable. On peut s’y abandonner avec bonne conscience sous le portrait bienveillant de maître Saito, mais la routine tue l’enthousiasme et le bonheur de pratiquer, elle empêche l’émerveillement, sentiments qui naissent seulement d’une recherche sincère. L’Aikido ne souffre pas la routine, il exige l’éveil, il exige aussi dans une certaine mesure la rébellion, une désobéissance aussi humble que l’objet est grandiose. C’est là le vrai respect que nous devons à nos maîtres.
Je ne parle pas de manière folle ou irresponsable, je parle d’un travail que j’ai déjà commencé dans mes cours, dans mes stages, et dans certaines publications de ce site sur lequel j’apporterai prochainement les informations nécessaires à comprendre la marche à rebours. Tout cela se démontre en effet avec une rigueur à laquelle les esprits logiques devraient être sensibles. Car la connaissance est indispensable bien-sûr, mais il existe un stade après la connaissance, c’est celui de la compréhension de ce que l’on croit connaître, et qui n’est connu véritablement qu’une fois compris.
Je ferai mon possible pour que la série de dossiers techniques, qui paraîtra à partir de Noël 2013, agisse comme une prise de conscience chez tous ceux qui acceptent de réfléchir sur leur pratique sans a priori, sans allégeance à aucune chapelle, en un mot avec un esprit libre.
Philippe Voarino
Saint-Nicolas 2013