Il est naturel de vouloir se protéger, mais l’Aikido est l’art de la protection sans protection.
Ceci est tout à fait essentiel : dans le mouvement d’Aiki-jo appelé tsuki jodan gaeshi uchi, le temps jodan gaeshi n’est pas un temps de protection, c’est un temps d’attaque.
Le jo passe au-dessus de la tête, c’est entendu, mais pas pour la protéger : pour opérer une rotation de la gauche vers la droite de la manière la plus efficace possible. S’il faut porter le jo au-dessus de la tête, c’est parce que il se trouve alors placé dans le prolongement de la colonne vertébrale, et que cette position au sommet de l’axe vertical du corps, dans l’axe même du moteur rotatif du mouvement, permet d’optimiser la vitesse de rotation de l’arme. Les pertes de charges et de temps dues aux positions décentrées et aux mouvements parasites qui en résultent sont annulées.
La vidéo explique cela :
Le nom même de ce mouvement est une indication. Il faut le lire de la manière suivante : tsuki - jodan gaeshi - uchi. On comprend alors très bien qu’il y a deux attaques successives : une frappe tsuki et une frappe uchi, et qu’entre ces deux frappes, il y a une liaison, une dynamique, qui permet de passer de l’une à l’autre dans le temps le plus court possible et avec la plus grande puissance possible. Le nom de cette liaison dynamique est jodan gaeshi qui veut dire - si l’on traduit mot à mot - tourner en haut, sans aucune idée d’une protection quelconque. Entre tsuki et uchi on ne fait donc rien d’autre que "tourner en haut", on ne protège rien.
Et on trouvera une preuve logique de cela dans le fait qu’au moment même où le jo monte au-dessus de la tête, la méthode de Maître Saito insiste sur l’importance de laisser glisser la main arrière (droite) jusqu’au contact de la main avant (gauche). Ceci a pour but d’engager sans perdre aucun temps la rotation qui suit. C’est à vrai dire déjà le début de la rotation, le jo ainsi tenu avec les deux mains en son centre, et dans l’axe vertical du corps, acquiert une grande mobilité. Mais cette action serait parfaitement inappropriée et n’aurait aucun sens si l’objectif était de se protéger sous le jo. C’est bien la démonstration qu’il ne s’agit pas d’une protection.
Je voudrais profiter de ce sujet pour dire une fois de plus que la notion de protection ne se trouve dans aucune action d’Aikido, avec ou sans arme. C’est O Sensei lui-même qui a livré cette information dans son livre Budo (p. 39 de la version française), et de manière non équivoque : "Les anciens utilisaient les piliers et les arbres comme boucliers. C’était une erreur… comme de compter sur d’autres protections. L’esprit est le seul vrai bouclier."
L’esprit ici ne veut pas dire le courage, ou la détermination, ou la force de caractère, toutes notions subjectives et relatives qui ne garantissent pas la victoire absolue, et pas même la simple victoire. L’esprit veut dire la capacité d’harmonisation avec le jeu des forces de l’univers, l’union avec l’esprit de l’univers. Et la seule manière d’obtenir cette harmonisation est le mouvement, le mouvement juste, le mouvement conforme au jeu de ces forces, qui est avec elles à l’unisson dans toutes les circonstances, sans opposition, sans conflit, sans jamais les combattre.
On verra une confirmation du fait que c’est bien ce mouvement qui est fondamental - et donc le déplacement - dans le paragraphe qu’écrit O Sensei immédiatement à la suite de sa réflexion. Car il n’y donne pas autre chose justement, pour parvenir à la résolution du conflit, que la description du mouvement d’Aikido selon les quatre directions : "Entrez sincèrement, tournez, et ne faites plus qu’un avec vos adversaires, de face ou de dos, à gauche comme à droite".
Ne plus faire qu’un, cela semble assez clair, et c’est pourquoi les marques de la dualité que sont parades et blocages, n’existent pas en Aikido, la seule protection d’un homme dans les situations extrêmes est son déplacement, qui porte dans cet art le nom d’irimi-tenkan (entrer-tourner). Le contrôle de tels moments ne dépend pas de la force d’opposition, il dépend de la bonne gestion du déplacement.
Tsuki jodan gaeshi uchi ne fait pas exception à cette règle, et il ne faut surtout pas - comme on le voit souvent - remplacer le mouvement jodan gaeshi par un temps de protection, qui est précisément une forme d’opposition.
Beaucoup de professeurs n’ont pas compris que la spécificité de l’Aikido se trouvait dans le mouvement permanent. Ils placent à tort une protection ici ou là, et ce faisant ils arrêtent le mouvement et rattachent ainsi l’Aikido à des systèmes d’art martiaux dont le Fondateur a passé sa vie à expliquer qu’ils n’avaient rien à voir avec son art.