Mission de TAI NO HENKA

Il existe un livre curieux qui porte le titre de Mission de l’Inde, écrit par Alexandre Saint Yves d’Alveydre à la fin du 19ème siècle, et qui fut détruit par l’auteur à sa sortie de presse. Existe-t-il dans le même esprit une mission de tai no henka ? Je pose la question, avec la réserve qui convient, mais je la pose tout de même.

Car tai no henka n’est pas une technique, et pourtant il n’existe pas de technique d’Aikido où ne se trouve pas ce "mouvement". Tai no henka est le substrat, le support de la réalité de l’Aikido, qui sans cela ne saurait exister. Tai no henka est donc une condition fondamentale de l’être pour ce qui concerne la technique d’Aikido. Et c’est un rôle certain que d’être une condition de l’être. Il y a bien sûr un pas à franchir pour passer du rôle à la mission, mais il n’est pas interdit de chercher dans ce sens.

On voit bien sur la vidéo comment tai no henka structure par exemple la technique d’ikkyo ura :

Placer quatre adversaires autour de tori permet évidemment de vérifier ce qui est possible et ce qui est impossible d’un point de vue martial, mais ce n’est qu’un aspect des choses, superficiel si l’on veut au sens que c’est là seulement ce que l’on voit au premier abord. Ces quatre adversaires sont comme un guide, ils représentent les quatre points cardinaux par rapport auxquels se dégagent certaines lois de l’orientation, selon les circonstances.

Autrement dit, les exigences qui résultent de la pratique martiale mettent sur la piste d’une recherche qui s’étend au-delà de la dimension purement martiale. Car tout est relié, Miyamoto Musashi fut le plus grand escrimeur du Japon - il était peintre - et c’est pour son œuvre calligraphique que mon ami et ancien professeur Pascal Krieger, grand Maître du Shindo Muso-ryu jodo, passera vraisemblablement à la postérité. Tout est dans tout et partout, il suffit de dérouler les choses dans l’ordre qui convient pour les mettre en rapport, et que s’élève ainsi la conscience que l’homme a du monde et de sa place en son sein.

C’est par une froide journée de février 1986 à Iwama - il avait neigé le matin même - que j’ai commencé ma pratique auprès de Morihiro Saito, avec shomen uchi ikkyo précisément. Quand il m’a vu faire, Maître Saito a arrêté le cours au bout de 30 secondes. J’avais appris jusque-là à répondre avec ikkyo sur un adversaire qui m’attaquait avec shomen, conception simpliste et duelle d’un Aikido self-defense. Il a expliqué pour moi et pour toute la classe que l’expression shomen uchi ikkyo signifie que tori fait shomen et fait ikkyo, et que ce n’est qu’à cette condition qu’ikkyo est possible. Ce fut le début, pour ce qui me concerne, d’une remise en question de tout ce que j’avais appris en Aikido dans les dix années précédentes.