Make love, not war !

Make love, not war ! En 1968, on pouvait voir fleurir cette formule au dos des kimonos (keikogi) d’Aikido. Des gens qui venaient pratiquer un art martial, et apprendre à manipuler un sabre, écrivaient sur leur veste d’entraînement "faites l’amour, pas la guerre"…

On peut sourire bien sûr, mais il faut quand même réfléchir un instant. Car l’idée que l’Aikido soit une manifestation de l’amour universel, si elle fut reprise sans grande réflexion par la génération Woodstock, est avant tout celle du Fondateur de cet art.

Dans leur ignorance de l’Aikido, les jeunes gens de cette époque n’avaient a priori aucune chance de comprendre ce qu’O Sensei Morihei Ueshiba mettait sous le concept d’Awase (Ai). La traduction de ce concept par un terme aussi général et équivoque qu’amour, qui plus est à un moment de l’histoire occidentale où celui-ci avait acquis un sens romantique, fut une source supplémentaire d’égarement. Le malentendu s’est néanmoins mis en place sur la base d’une dimension bien réelle de l’Aikido, dont témoigne la vidéo ci-dessous :

Les techniques d’Aikido sont en effet conçues pour briser, pour détruire, et elles sont d’une redoutable efficacité dans ce domaine. Cette efficacité cependant ne pourrait exister si elle n’était pas le résultat de l’harmonie et de l’équilibre de ce moment parfait de l’univers qu’est tout mouvement d’Aikido correctement exécuté. Car la manifestation d’une dynamique martiale parfaite dépend, au même titre que la manifestation de la vie, de l’ordre fondamental de l’univers. Détruire de manière parfaite exige le respect des mêmes lois d’équilibre qui permettent à cet univers de créer. 

Dans l’espace subtil où ces notions se rejoignent, les notions de bien et de mal apparaissent relatives, elles perdent leur pertinence et il faut éviter ici tout point de vue moral, ainsi que l’a dit O Sensei lui-même après Nietzsche (en rangeant sa bibliothèque à Iwama j’y ai trouvé plusieurs ouvrages de Nietzsche, j’ignore s’il les avait lus). C’est dans une perspective de cette nature qu’il faut comprendre l’amour dont il parle, par-delà le bien et le mal si l’on veut.

La technique illustrée sur la vidéo ne peut avoir ni puissance ni efficacité si elle n’est pas menée du début à la fin dans le respect du principe rotatif de l’Aikido qui porte le nom d’irimi-tenkan, où plutôt tenkan-irimi devrions nous dire, tant il est vrai que l’entrée est une conséquence de la rotation. De même la lumière ne peut sortir que de la nuit qu’elle déchire, et c’est pour cette raison que yin est placé avant yang dans la métaphysique orientale. L’union de yin et de yang oriente l’énergie vers le phénomène de la manifestation, vers les formes donc : dix mille être pour la création des formes de la vie, dix mille mouvements pour la création des formes techniques de l’Aikido :

L’objectif n’est pas de faire le bien, ce n’est pas de faire le mal non plus, l’objectif est d’agir en conformité avec l’ordre du monde dans une situation donnée. Trouver quel est cet ordre, est le premier objet de l’étude. L’ordre moral vient après, c’est un autre problème. L’amour qui naît de cette quête est la reconnaissance de la perfection et du caractère merveilleux de cet univers dans le moindre de ses détails. L’Aikido, en tant qu’art martial, est un des aspects de cette voie.