Il est difficile de brosser en quelques lignes un portrait de Pierre CHASSANG. Je me contenterai ici de ce qui est nécessaire à présenter son livre, et renvoie à l’éditorial que j’ai écrit en 2013 à l’occasion de sa mort, ou encore à l’entretien avec Aikido Journal en 2007, qui donnent une idée un peu plus complète de l’homme qu’il fut.
Pierre est né en 1919, son engagement dans la voie de l’Aikido est exceptionnel, il a défriché une terre vierge. Il débuta la pratique en 1952, lors d’une présentation qui était faite de l’Aikido à la fin d’un cours de Judo par le premier expert à s’installer en France, Tadashi ABE. Il suivit pendant sept ans l’enseignement de ce kamikaze, pilote de Kaiten, épargné in extremis par la capitulation du Japon quelques années plus tôt. Quand ce dernier rentra dans son pays en 1959, Pierre fut des quelques fidèles qui accueillirent successivement sur un quai de Marseille, à leur descente du bateau, les professeurs d’Aikido de la génération suivante : Mutsuro NAKAZONO d’abord, Masamichi NORO ensuite, Nobuyoshi TAMURA enfin.
Il contribua grandement au travail de ces enseignants en créant au fil du temps toutes les associations nécessaires au développement de l’Aikido. En France bien sûr, avec l’Association Culturelle Française d’Aikido (ACFA), puis la Fédération Française d’Aikido et de Budo (FFAB) ; en Europe avec l’Association Culturelle Européenne d’Aikido (ACEA), puis la Fédération Européenne d’Aikido (FEA) ; et dans le monde avec la Fédération Internationale d’Aikido (FIA ou IAF) qui est devenue aujourd’hui la vitrine de l’Aikikai de Tokyo. Les statuts de ces associations sont tous enregistrés à la sous-préfecture de Grasse, à côté de Cannes où il vivait. C’est lui qui les a déposés, c’est lui surtout qui les a rédigés. Il fut selon le moment Président, Secrétaire ou Trésorier de toutes ces associations, et sur le front de tous les combats nécessaires à leur survie. Il prit bien des coups, mais il avait la peau dure, et l’Aikido - national et international - fonctionne toujours aujourd’hui sur les bases associatives créées par Pierre CHASSANG dans la seconde moitié du vingtième siècle, bien que ce détail soit désormais oublié.
Pierre il est vrai ne cherchait pas la reconnaissance, il ne se mettait jamais en avant, il disait aux gens qui ne le connaissaient pas, qu’il "faisait un peu d’Aikido", avec le sourire intérieur toutefois de celui qui a passé sa vie sur les tatamis. J’ai voyagé avec lui dans de nombreux pays jusqu’à l’approche de ses 90 ans, en voiture, en bateau, en avion, pour visiter toutes sortes de dojos. Une fois nous avons fait 1300 kilomètres en une journée dans un vieux camion. Je conduisais, il parlait… beaucoup… il aimait bien les camions, souvenir d’une jeunesse où il transporta un temps des fromages entre Saint-Flour et Paris. A l’arrivée en Belgique dans la soirée il enseigna encore pendant deux heures… il avait 85 ans. C’était un vrai bénévole, l’Aikido ne lui a jamais rapporté un centime. Quand on lui demandait pourquoi il avait fait ce choix, il répondait que ce qu’il enseignait n’avait pas de prix, et qu’il ne pouvait donc faire autrement que de le donner.
Son enthousiasme était stimulant et communicatif, et au début des discussions qui s’engageaient après le cours, les élèves avaient pris l’habitude de demander à cet ancien des jours de l’Aikido : "Pierre, dis-nous ce que tu sais !" Si bien qu’il finit par prendre la plume pour tenter de mettre sur le papier ce qui avait fait pendant un demi-siècle la matière de ces échanges de troisième mi-temps dans les pubs et les bistrots du monde : le mystère de l’Aikido.
Ce petit livre est né ainsi, spontanément, à l’image de son caractère, le titre s’est imposé tout naturellement. Quand nous nous retrouvions le matin à Cannes ou à Antibes autour d’un café et de quelques croissants, il arrivait avec le chapitre qu’il était occupé à rédiger, et je n’oublierai pas ces discussions. Partager ses idées, les défendre au besoin avec fougue, avec pugnacité, était pour lui une manière de les mettre en forme. Il n’a jamais considéré l’Aikido comme un sport, il a obstinément voulu comprendre ce qui fut le grand engagement de sa vie, en gardant jusqu’au bout la modestie qui convient au chercheur véritable.
Il n’y eut pas d’autre livre, il fut publié à compte d’auteur au tournant de l’an 2000. Pierre en vendit quelques exemplaires qui ne suffirent pas à couvrir les frais d’édition, il en donna beaucoup, ce n’était pas un homme d’affaires. Une partie des livres finit fâcheusement dans l’inondation de sa cave. A sa mort, j’ai racheté à sa veuve les exemplaires épargnés, pour éviter qu’ils ne terminent tristement dans les grands débarras qui suivent les funérailles. La pensée qui traverse ce livre sera fraîche encore au tournant de l’an 3000, car elle est intemporelle.
Ces livres sont aujourd’hui proposés sur le site TAI jusqu’à épuisement, à leur prix coûtant comme il l’aurait souhaité, et à seule fin que soit partagé jusqu’au bout - autant que faire se peut - ce qu’il savait. Chaque exemplaire que je porterai à la poste sera un trait d’union entre la pensée vivifiante de ce pionnier de l’Aikido, et les générations qui n’ont pas pu le connaître. Ce sera aussi pour moi un clin d’œil à notre longue amitié, par-delà la mort et par l’entremise de TAI que nous avons créée ensemble en 1992, qui fut sa dernière contribution au monde associatif.
Puisqu’il ne peut plus le faire désormais, je dédicacerai personnellement en son nom chacun de ces exemplaires, en souvenir des heures innombrables passées à débattre avec lui trente années durant des questions posées dans ce petit livre bleu, en sachant très bien cependant qu’il m’aurait dit que ce livre n’a pas d’importance, que ce qui est important c’est l’Aikido, et de savoir seulement si l’on en fait ou pas, car l’Aikido c’est autre chose…
Philippe Voarino, 29 février 2024
AIKIDO Dis-nous ce que tu sais !
Par Pierre CHASSANG, dédicacé par Philippe VOARINO
Format livre de poche : 11,5 x 18 cm - 131 Pages
Disponible en quantité limité, jusqu'à épuisement du stock