Cet article est long, mais j’ai la faiblesse de penser qu’il pourra être utile à tous ceux qui cherchent sincèrement à comprendre le déplacement d’Aikido. J’ai décidé de le diviser en deux parties afin qu’il soit plus facile à digérer.

Cet article parle d’une énigme : la position des pieds en Aikido. Il semble en effet que l’élément technique le plus fondamental de l’art d’O Sensei soit resté après lui un mystère aussi hermétique que celui du culte du dieu Mithra.

Il circule tellement de contre-vérités, d’approximations et de fantaisies sur cette question d’une importance primordiale pour qui veut avancer dans la voie de l’Aikido, que j’ai jugé nécessaire de remettre un minimum de cohérence dans le galimatias qui est aujourd’hui proposé en guise de savoir.

Le premier pas est difficile en amour, il est difficile aussi dans la recherche de la voie. Lao Tseu a écrit : "Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas". L’Aikido est un voyage de mille lieues, mais pour débuter ce voyage, encore faut-il faire le premier pas, encore faut-il savoir comment faire ce pas.

Le rapport entre hanmi, roppo, hito e mi et kenka goshi, voilà ce qui va nous occuper dans les pages suivantes.

J’ai lu récemment dans un manuel destiné à l’enseignement qu’il y avait trois sortes de hanmi. Comment peut-on espérer mettre des débutants sur la voie de l’Aikido quand on commence par les perdre avec de telles bêtises ?

Il n’y a pas trois sortes de hanmi, il y a un seul hanmi et il est démontré de manière magistrale par O Sensei sur les photos ci-dessous :

Magistrale parce que ces photos ont une histoire : elles ont été prises à Iwama dans les années 1950, O Sensei travaillait la terre avec quelques uchi deshi, dont Morihiro Saito,quand une vive discussion s’engagea au sujet de hanmi précisément. O Sensei sentit l’importance de ce moment, il fit chercher un photographe au village et il posa pour lui devant le dojo, dans ses habits de travail, pour fixer une fois pour toutes sur la pellicule et dans l’esprit de chacun, la position hanmi. Ces clichés ont donc valeur de référence pour décider ce qu’est ou ce que n’est pas la position hanmi, et dans le contexte où ils furent pris ils devraient normalement faire autorité.

Mais s’il faut d’autres preuves, les photos suivantes, prises à différents âges de la vie du Fondateur confirment que ce dernier adopte invariablement la même position de garde hanmi, avec ou sans arme. Il n’existe pas de photo ou de vidéo montrant O Sensei attendre une attaque à l’arrêt dans une autre position que celle-ci:

Je pense que les éléments photographiques ci-dessus témoignent avec suffisamment de force que la position de garde de l’Aikido – la position d’attente à l’arrêt de l’Aikido – est hanmi, n’est jamais autre chose que hanmi, et que hanmi est une position toujours égale à elle-même.

Cette position est telle que le pied avant est dirigé tout droit vers l’avant, et que le pied arrière constitue avec lui une forme en T inversé dont la barre transversale (qui correspond au pied arrière) fait un angle d’à peu près 60° avec le pied avant:

Il n’y a donc qu’une position hanmi, elle peut évidemment se prendre à gauche ou à droite. Toutefois il existe, outre cette position, des placements de pieds transitoires nécessaires entre une position hanmi initiale et la position hanmi qui lui succède quand l’action est terminée. Ces transitions sont au nombre de deux.

La première transition porte le nom de hito e mi, il s’agit d’une ouverture rotative caractéristique du pied avant qui permet le passage du pied arrière vers l’avant. Cette transition est indispensable dans certains mouvements comme ikkyo, shiho nage ou kaiten nage par exemple, parce que le pied arrière doit y atteindre un point éloigné de 270° de sa position initiale, mais elle n’est pas nécessaire pour un point éloigné de moins de 180° :

La seconde transition porte le nom de kenka goshi. Elle s’exprime sous la forme d’un triangle équilatéral qui se met en place au déclenchement de l’attaque, quand les pieds quittent hanmi. Ce triangle équilatéral offre la stabilité maximum que le corps humain puisse obtenir, et dont il a absolument besoin pour frapper ou pour projeter. Cette stabilité est acquise par l’inversion du sommet du triangle équilatéral qui est dirigée vers l’arrière de tori (le sommet du triangle aigu formé par hanmi est dirigé vers l’avant parce que dans cette position c’est la mobilité qui est recherchée plus que la stabilité).

En kenka goshi, les deux hanches sont en opposition (c’est d’ailleurs la traduction de cette expression japonaise), et cette opposition des hanches verrouille le mouvement pendant la fraction de seconde nécessaire à l’explosion de la puissance, juste avant de revenir à la position hanmi, en voici quelques exemples chez O Sensei à des âges variés de sa vie :

En hito e mi aussi bien qu’en kenka goshi, les pieds se trouvent à l’évidence dans un angle très différent de celui que nous avons repéré pour la position hanmi, il est donc impossible de confondre hito e mi et kenka goshi avec hanmi. Cela fait-il pour autant de hito e mi et de kenka goshi deux positions d’Aikido qui viendraient s’ajouter à hanmi ?

Nous allons expliquer cela, mais avant d’aller plus loin, la différence fondamentale qui existe entre les trois séries de témoignages photographiques qui sont produites ici devrait sauter aux yeux de chacun : les photos de hito e mi et de kenka goshi montrent le temps de l’action, alors que les photos de hanmi montrent le temps qui précède l’action. Hito e mi et kenka goshi sont en rapport avec la dynamique alors que hanmi est en rapport avec la statique.

(...) nous verrons dans la deuxième partie de cet article les conséquences de cette distinction quant à la compréhension claire du déplacement d’Aikido.

Philippe Voarino, mars 2018.