Le faucon, la grenouille et la vérité
Aux chasseurs de nuages, qu’ils soient d’Aikido ou d’ailleurs.
Les parois transpirantes d’un puits sépulcral,
Obscures murailles regardant vers les cieux,
Fournissaient un refuge au destin frugal
D’une grenouille aux mérites mystérieux.
Sillonnant les nues en lents cercles silencieux,
Ses ailes déployées embrassant la terre,
A l’automne déjà un faucon laborieux
Songeait à la fatalité de ses guerres.
En son monde interlope, inconsciente
De l’œil vif qui suivait l’allure de son cœur,
L’ondine cherchait au fil de l’eau patiente
Le souvenir éteint d’une ancienne candeur.
Des belvédères qu’il scrute solitaire,
L’hôte fugitif des nuages et du vent,
Tenaillé par un appétit téméraire,
Vers le palais immergé plongea ardemment.
Mais la proie n’était pas docile offrande,
Le pillard par méprise la crut novice,
Et sous l’effet de son ivresse gourmande
Manqua l’exercice du cruel office.
La victime, vigoureuse et fébrile,
D’un soubresaut judicieux évita le bec
Taillé pour déchirer sa gorge fragile,
Et le festin brigué eut le goût de l’échec.
De même la vérité habite un puits,
Sa pudeur y fuit la lumière crue du jour,
Et les chimères, et les mirages fortuits
Qui simulent les nobles passions de l’amour.
Mais à courtiser seulement les ténèbres,
D’une reine aussi l’esprit peut dévier,
Et s’abandonner au caprice funèbre
Par quoi l’on prétend son contraire renier.
Car la vérité n'est que par le mensonge,
La lumière naît de la nuit qu’elle déchire,
L’équilibre sépare l’être du songe,
Et les ouvrages de l’esprit du délire.
Martyre tourmentée par telle détresse
Qui rumine en son ventre et la fouille,
Et de l’âpre licorne vierge prêtresse
Que nul chasseur de sa vertu ne dépouille,
Ta fille, Saturne, secret monolithe,
Ne laisse l’homme étreindre ses cheveux noirs,
Et la vie n’est plus qu’inutile invite
A d’absurdes batailles livrées sans espoir
D’arraisonner un jour l’entêtée rebelle,
Dont il n’est de fer pour tenir la cheville,
Et qui échappe, fugueuse éternelle,
Quand meurt la foi comme un feu de brindilles.
Philippe Voarino - 26 avril 2021
Post-scriptum :
O Sensei Morihei Ueshiba est mort un 26 avril il y a 52 ans, et Pierre Chassang un 26 avril également, il y a huit ans déjà. Tous deux ne se sont pas rencontrés dans la vie, mais ils se sont rencontrés dans la mort d’une certaine manière, ils ont en tout cas chassé les mêmes nuages sur le pont flottant du Ciel.
De ces poursuites le temps efface les traces, et seuls demeurent les nuages. Aucun homme jamais ne les attrape, mais les poursuivre vaut peut-être assez qu’on vive.
A Morihei, à Pierre, à la Grenouille éternelle qui toujours nous échappe, qu’ils ne m’en veuillent pas pour la pauvreté de ces vers, ils ne sont qu’un modeste témoignage du temps qui fuit, emporte nos rêves, et nous laisse maussades.