Le  kumitachi n°5 de la méthode est comme les autres un exercice conventionnel destiné à l’étude. Il se pratique à l’entraînement avec un seul adversaire, mais son schéma renvoie cependant à la situation plus complexe du combat véritable. Car les différentes phases et les différentes frappes du mouvement d’étude n’ont pas à être modifiées dans la situation réelle. Elles s’appliquent à l’identique, elles sont seulement ajustées dans l’espace pour répondre à la réalité de l’attaque simultanée de plusieurs adversaires. Chaque frappe unidirectionnelle du kumitachi est scrupuleusement conservée dans la réalité multidirectionnelle :

Ce chemin qui va de l’étude de la méthode à la réalité martiale, c’est celui que doit accomplir l’étudiant à partir de la méthode. Mais il faut comprendre qu’il ne fait là que dérouler ce qui a été préalablement enroulé, et que la mise au point de la méthode a exigé que soit accompli le chemin exactement inverse. Il a fallu que soit préalablement ramené, sans distorsion, sur une ligne et dans une direction unique, ce qui était originellement multidirectionnel dans la réalité. Or c’est seulement quand on accomplit le chemin de la méthode à la réalité qu’on peut apprécier le génie martial et pédagogique qui a été nécessaire pour parcourir le chemin allant à rebours de la réalité à la méthode. Parce qu’il a fallu dans cette entreprise réduire les situations de la réalité à un exercice conventionnel uniforme, mais de telle manière qu’il soit toujours possible de revenir aux situations de la réalité à partir d’une telle réduction. Ce travail fut celui d’O Sensei Morihiro Saito. 

Accomplir le jour venu le chemin de la méthode vers la réalité, ce n’est pas du tout trahir maître Saito comme j’entends parfois, c’est le contraire. C’est s’engager dans la voie qu’il a préservée pour nous en codifiant son accès, et dont le déchiffrage relève de notre responsabilité. C’est faire en sorte que ses efforts pour crypter intelligemment la voie dans le but de nous donner la possibilité de l’emprunter un jour n’aient pas été inutiles. C’est lui rendre hommage en vérité de la seule manière qui soit légitime, loin de la bonne conscience qui consiste à transmettre mécaniquement les outils qu’il nous a laissés, sans comprendre qu’il ne s’agit encore là que d’outils. 

Nous avons vu en ce sens, dans le dossier technique précédent, comment le yokomen uchi d’uke tachi au début du kumitachi n°5 est en réalité une action qui permet de neutraliser deux adversaires en un seul mouvement, le premier venant sur le côté gauche, le second sur l’arrière.

Dans ce même kumitachi, la seconde frappe d’uke tachi est un shomen, et nous vérifions sur la vidéo que la deuxième frappe de l’exercice multidirectionnel est également un shomen :

On comprend toutefois que ce shomen uchi n’est plus destiné de manière répétitive au même adversaire, il a pour cible véritable un troisième homme attaquant depuis la droite :

Dans le budo, il n’y a pas de raison de frapper plusieurs fois de suite le même adversaire, et il n’y a de toute manière pour cela ni le temps, ni l’espace nécessaires. Chaque frappe est un évènement singulier et décisif contre un nouvel adversaire, c’est là un des sens qu’on trouve dans l’expression "Ichi-go ichi-e", célèbre au Japon. J’écrirai prochainement un article pour tenter de mieux comprendre ce concept difficile qui a une grande importance dans les arts martiaux japonais.