La méthode SAITO
Le texte qui suit a pour objectif de donner une explication de l’utilité et de l’ingéniosité du travail kotai mis en place par Morihiro Saito Sensei. Pour situer un peu les choses et selon les propos de Morihiro Saito, “le travail kotai est à réaliser jusqu’au 3ème dan”, ce qui devrait nous mettre la puce à l’oreille quand à son importance...
Le premier niveau d’étude kotai est bien souvent vu comme un niveau où la pratique est carrée, statique, solide, puissante, un niveau où l’on ne fait pas d’aïkido. Et en restant à cette vision partielle des choses, il est impossible de découvrir en quoi ce niveau est une clé fondamentale à la pratique de l’aïkido dynamique et vivant de Morihei Ueshiba, “le haut a pour fondement le bas”, disait Lao Tseu.
Finalement, plus que tout les adjectifs cités plus haut ce qui caractérise le niveau kotai est l’absence de contrainte temporelle. Supprimer la contrainte temporelle c’est donner à tori la possibilité de “prendre son temps”. En effet lors de la pratique ki no nagare, avec la recherche de l’awase et le retour de la contrainte temporelle, il ne sera plus temps pour tori d’étudier la technique, il sera temps de l’appliquer. C’est en cela que la première étape de la “méthode Saito” est importante, c’est la seule qui permette l’étude de la technique au travers de ces différentes composantes, à savoir :
- L’étude du chemin de la technique
- L’étude du contexte de la technique
- L’étude de la technique
Etude du chemin de la technique
Le chemin de la technique est tout ce qui est réalisé du début de l’attaque (saisie / frappe / sollicitation) jusqu’au moment ou l’on arrive à la manifestation technique.
Pour faciliter la compréhension de cette notion, je vais utiliser cette photo ou l’on voit O Sensei dans un des temps de shomen uchi ikkyo (cf. Budo). Certains utiliseront cette photos afin de dire “O Sensei fait ikkyo le bras plié”. C’est une erreur ! Car en la retirant du contexte, en l’isolant du reste de la technique, on se rend compte qu'il est encore impossible de dire précisément quelle technique va être manifestée. Ikkyo, sankyo, yonkyo sont toutes des techniques encore possibles.
Dès lors le chemin de la technique peut se définir comme tout ce qui se passera avant la manifestation d’une technique précise. Tout ce qui se passe tant qu’il est encore impossible de dire “là il fait ikkyo, nikyo, kote geashi ou kaiten nage...”
L’étude du chemin est importante car il nous amène à réfléchir sur le fait que d’un même chemin naîtront différentes techniques mais également qu’une technique peut être manifestée suite à différents chemins.
C’est ainsi que de la notion de chemin technique émerge une nouvelle notion : la notion de contexte technique ; contexte qui fera la différence entre plusieurs techniques provenant d’un même chemin ou contexte qui rendre possible une même technique issue de différents chemins.
Etude du contexte de la technique
Le contexte d'un évènement inclut les circonstances et conditions qui l'entourent. Le contexte technique sera donc la présence ou non des circonstances et conditions nécessaires à la réalisation d’une technique. Ainsi il est possible de comprendre qu’une technique ne peut être manifestée que sous certaines conditions et qu’il n’est pas possible de manifester toutes les techniques tout le temps.
Ce contexte peut prendre différents aspects, il s’agira du ma-aï, du sens de rotation, de la variation dans l’extension / flexion du bras, de l’entrée réalisée, d’une saisie (par-dessus, par en dessous) ... Et bien entendu de la combinaison d’un plus ou moins grand nombre de ces éléments.
Ainsi la pliure du bras va être déterminante de l’exécution d’ikkyo omote, de sankyo omote ou yonkyo omote.
Il y aura donc un contexte spécifique pour que puisse être manifestée une technique. C’est seulement après avoir compris dans quelles conditions peuvent naître les techniques que l’étude de la technique à proprement parler pourra commencer.
Etude de la technique
Il est difficile d’appréhender une pratique statique et contraignante si l’on n’en comprend pas le sens. Pour cela O Sensei a laissé des clés, des kuden. Kuden qui ont été par la suite formalisés par Morihiro Saito Sensei sous la forme de points techniques.
Prenons par exemple l’étude des points techniques d’ ikkyo omote . Lors du 1er temps (1er temps ou l’on peut vraiment parler de la technique ikkyo), en ce qui concerne les points techniques spécifiques, il est demandé d’ouvrir le pied avant en hito e mi et d’amener le niveau du poignet plus haut que le niveau du coude en conservant une bonne extension du “kokyu” ; tout cela en utilisant le déséquilibre avant d’uke (cf. photo ci-dessous).
Qu’est ce que cela implique ?
Pour un pratiquant avancé l’ouverture du pied et le fait d’avoir le niveau du poignet plus haut que le niveau du coude sont les conséquences de la transmission de la rotation de l’axe au corps tout entier, les conséquences du principe Irimi-Tenkan. Pour un débutant, avoir un axe moteur du corps n’a pas de sens ! A ce stade il n’a pas conscience de son axe et il est encore moins capable de le mobiliser de telle façon qu’il soit moteur du reste du corps. Il est par contre facile de lui demander de mettre le poignet plus haut que le coude et de placer son pied dans la position* hito e mi*. Par ce travail il développera naturellement la rotation de l’axe grâce à ces petits points techniques que l’on peut voir, que l’on peut appliquer et faire appliquer de manière tout à fait objective. Ainsi il faut comprendre que :
L’apprentissage du principe passe par la mise en place statique de ses conséquences.
Ainsi nous pouvons dire que le niveau kotai, n’est (en effet) pas un niveau où l’on fait de l’aïkido mais un niveau d’étude, où l’on découvre le Principe au travers “d’outils techniques formalisés”. La découverte du principe donne à l’Aïkido sa spécificité face à d’autres arts martiaux, d’autres disciplines sportives... Suite à la découverte du Principe l’étude portera sur la “mise en marche” de celui-ci comme origine dynamique du mouvement il faudra alors que tori dépasse le niveau de pratique kotai et que la technique passe “d’outil d’étude du principe” à la “conséquence de la mise en marche du Principe”.
Une fois au niveau de l’étude de la “mise en marche du Principe” tori devra rompre avec les positions de corps construites en kotai. Rompre ne voulant pas dire aller à l’encontre, mais aller au-delà. En kotai, il fallait pouvoir maintenir des positions solides, stables car il fallait produire une technique ex-nihilo. Sorti du kotai se rajoute la notion de dynamique, on créera à partir d’une dynamique. Ainsi pour dépasser l’étude de la technique à proprement parler il faut pouvoir bouger, se déplacer et faire “vivre” un mouvement. Et pour se déplacer il faut de plus en plus rechercher à devenir le principe moteur, devenir un axe.
LE PRINCIPE MOTEUR DE L’AIKIDO NAÎT DE LA ROTATION D’UN AXE
Tenir compte de cela entraînera des modifications par rapport aux formes de corps construites en kotai :
- Une position des pieds resserrée pour tendre vers l’axe parfait;
- Un rétrécissement des déplacements allant vers une simple utilisation du pivot autour de la position hanmi pour prendre des angles et se déplacer.
Nous venons donc de voir l’importance du niveau kotai comme étant une étape nécessaire pour évoluer vers l’Aïkido d’O Sensei puisque la suppression de la contrainte temporelle nous laisse du temps pour l’étude technique et ainsi aller à la découverte du Principe. Cependant, il est nécessaire de prendre conscience que cet éducatif a ses limites et que, bien qu’il soit censé amener le pratiquant à évoluer vers plus de liberté, il peut s’avérer être un frein dans la progression si on ne tient pas compte de ce qui suit.
Il est très facile de voir le problème principal du niveau d’étude Kotai : la rigidité des choses. En effet décomposer les mouvements permet d’un côté de prendre son temps pour comprendre mais permet également de créer des moments d’où il est très difficile de repartir pour continuer l’exécution d’un mouvement imposé ; des moments ou uke peut être “fort” et empêcher la suite de la technique.
Pour éviter de s’enliser dans une lutte pour la réalisation technique, il est important de se pencher sur le rôle d’uke.
Si l’on comprend bien ce qui a été expliqué précédemment, il est clair qu’une technique n’est réalisable que dans un contexte précis. Ainsi uke doit prendre conscience que lors de l’étude (et cela peu importe le niveau kotai, jutai) il doit mettre tori dans le contexte idéal de réalisation de la technique. Uke doit être capable de discerner une erreur concernant un point technique d’une erreur venant de sa propre attitude (empêcher le mouvement en donnant une force inverse, mettre volontairement le corps, le bras dans la position qui n’est pas celle du contexte technique…).
C’est pour cela qu’il est important de comprendre les choses et de les prendre en compte tant en pratiquant la technique, qu’en la recevant. Le danger d’un tel discours est de tomber dans le travers extrême du “dressage d’uke”. Car s’il faut qu’uke “serve” tori, il faut qu’il le serve comme la barre sert l’haltérophile, c'est-à-dire en étant présente, ici en attaquant. Et c’est tout le problème de l’attaque, de la sincérité de l’attaque qui est mis en question au travers du travail kotai. En effet elle peut devenir soit trop complaisante et par conséquente inutile pour tori, soit à l’inverse trop contraignante et également inutile. En influant par son comportement sur l’attaque uke influe sur la possibilité ou non de manifester la technique demandée pour l’étude à tori, et par conséquent sur la progression de ce dernier.
Cela ne sera plus un problème lors du “travail libre”, ou les techniques deviennent l’application du principe et s’adapte au contexte. Mais tant que l’on reste dans le cadre de l’étude, de l’apprentissage, être uke est important, et sans ça, sans un bon uke au sens où nous venons de le voir, tori n’a que peu de chance de progresser.
Matthieu Jeandel, 07 avril 2009