La chose du monde la mieux partagée
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.
Donc chacun peut valablement se faire une idée sur toute chose.
Donc chacun est libre de comprendre l’Aikido comme il l’entend.
Donc l’Aikido est démocratique, toutes les opinons sont bienvenues et équivalentes, toutes les écoles se valent, personne ne détient la vérité, et d’ailleurs il n’y a pas de vérité, il n’y a que des vérités, etc. etc.
Ce raisonnement fréquent oublie un détail : le savoir.
Dans tout art il existe des fondamentaux, et les fondamentaux ne s’inventent pas. On les connaît ou on ne les connaît pas. Le charpentier sait comment on dresse une charpente, s’il ne le sait pas, c’est qu’il n’est pas encore charpentier, et il doit l’apprendre. Mais il ne l’apprend pas tout seul, car l’homme ne peut pas refaire tout seul le parcours de l’humanité entière chaque fois qu’il entreprend quelque chose. Maître Ueshiba n’a pas sorti l’Aikido du néant, il l’a tiré du Daito ryu et des écoles de sabre qu’il a fréquentées pendant sa formation.
Alors il faut du bon sens bien sûr pour parvenir au savoir, mais il faut aussi des maîtres sûrs. Le savoir traditionnel est le fruit d’une transmission. On peut choisir son maître, mais il faut un maître, et une fois le maître choisi il faut absolument lui faire confiance.
Moi j’ai choisi de faire confiance à Morihei Ueshiba. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, bien peu parmi mes camarades professeurs ont fait ce choix.
Dans la société post-traditionnelle qu’est la société moderne, les conditions idéales d’une transmission du savoir ne sont presque plus jamais réunies, et nous avons pris l’habitude de penser que nous pouvions parvenir seul, et vite, à une connaissance authentique. Dans la tradition, un artiste débutant détruit son œuvre dès qu’elle est terminée. C’est une condition de son progrès. Dans le monde moderne au contraire il l’expose, et un public sans compétence vient admirer ces premiers pas malhabiles.
Ce qui est ignoré là, c’est que la première qualité d’un artiste est l’humilité, et que la seconde est la patience. On ne brûle pas les étapes.
Je ne suis pas japonais, je ne suis pas plus doué qu’un autre – loin de là – et rien ne me prédestinait en vérité à me trouver dans la position qui est la mienne aujourd’hui.
Mais ce que je connais de l’Aikido est le résultat d’une transmission traditionnelle.
Les fortunes de la vie ont placé sur mon chemin les maîtres et les circonstances qui m’ont amené à comprendre certaines éléments de l’Aikido d’O Sensei que d’autres maîtres n’ont pas perçus.
Parler ainsi peut sembler prétentieux, mais ce n’est pas le cas. Ce que j’ai vu – ou ce que j’ai entrevu – me dépasse tellement que toute prétention serait ridicule et me disqualifierait. Ce que j’ai vu ne m’appartient pas, je ne peux même pas en revendiquer la découverte.
Et c’est justement parce que cela ne m’appartient pas, parce que je n’en suis que le dépositaire momentané, que j’ai la responsabilité de le transmettre. C’est du moins le sentiment qui est le mien, dans l’état actuel de ma compréhension.
Or, passé cinquante ans, un homme est plus près de la fin que du commencement. J’en ai bientôt soixante, autant dire que les années qu’il me reste à consacrer à ce travail de transmission sont comptées.
Le temps est précieux, mais j’ai toujours donné le temps nécessaire à répondre aux questions du forum TAI, et je continue à le faire parce que ces réponses sont une des manières que j’ai trouvées d’assumer ce devoir de transmission. Je fais cela volontiers, depuis des années, en argumentant parfois longuement mes explications, et je n’ai jamais évité aucune question. Mais j’y mets une condition : il faut que la question soit sincère. Il n’est pas grave qu’elle ne soit pas toujours pertinente, en revanche il est indispensable qu’on puisse lire à travers elle, chez celui qui la pose, une authentique volonté de comprendre.
J’ai une grande habitude des questions hypocrites qui, sous l’apparence d’une préoccupation technique, ne sont en réalité que des tentatives de démarrer des polémiques, questions dont la formulation même en dit long sur l’état d’esprit de celui qui les pose. Je ne réponds plus à des questions de cette nature, parce que c’est peine perdue d’offrir des arguments à celui dont l’esprit est aveuglé par la soif de conflit, et qui n’est là que pour chercher querelle.
Par ailleurs, ces dernières semaines, le forum TAI a été le théâtre de disputes personnelles entre intervenants. Si tout cela ne s’arrête pas immédiatement, je demanderai au webmaster qu’il veuille bien utiliser sa faculté de modération (ce qu’il n’a jamais fait dans les quatorze années d’existence du site) pour éliminer les post sans rapport avec l’objectif de TAI. Cet objectif est de contribuer à une meilleure compréhension de l’Aikido du Fondateur, ce n’est pas de permettre à quelques uns d’utiliser l’audience importante du forum pour afficher leur ressentiment et régler leurs conflits personnels en public, sur des points sans rapport avec la discipline.
Philippe Voarino, février 2015