Nous avons, dans le dossier # 3, placé nos deux pieds sur des angles de 60° selon les recommandations d’O Sensei.
Mais nous faisons maintenant une observation fondamentale : jamais O Sensei ne positionne ses pieds à 60° en attendant l’attaque.
Toutes les photos que nous possédons le montrent en effet à ces moments dans une position triangulaire certes, mais dans laquelle son pied avant est beaucoup moins ouvert, comme illustré par les photos ci-dessous et que nous schématisons sur notre figure.
Ce placement des pieds met le corps dans une position caractéristique de l’Aikido appelée aujourd’hui hanmi. L’épaule correspondant au pied arrière est légèrement en retrait de l’épaule correspondant au pied avant. Ainsi, seule une moitié du corps est exposée à l’attaque. Mais en même temps, le seika tanden de tori (flèche noire) reste dirigé vers l’adversaire (flèche rouge). Autrement dit, tori fait face à l’attaque mais sans être de face et en offrant de ce fait très peu d’ouverture.
Il est exclu, de s’opposer frontalement à la flèche rouge, ce serait une situation conflictuelle d’autant plus inutile qu’uke a précisément ses appuis et donc sa force dans cette direction. Le moyen utilisé par l’Aikido pour résoudre le conflit est au contraire d’unir les deux forces opposées dans une troisième direction où elles ne sont plus en opposition et dans laquelle uke est en perte d’équilibre. Pour atteindre ce résultat, tori doit nécessairement modifier sa position, et c’est à ce point qu’entre en jeu l’ouverture à 60°.
Au moment ou le mouvement s’engage, les pieds de tori ne restent donc pas dans la position initiale, ils pivotent en une fraction de seconde pour se retrouver chacun à un angle de 60° et détourner la force d’uke, comme indiqué ci-dessus.
O Sensei appelait cette ouverture hito e mi. Le mot ouverture est celui qui convient ici. Toute « position » est en effet par définition « posée » et donc statique. Or, hito e mi est uniquement dynamique, il est essentiel de bien comprendre cela. Gozo Shioda connaissait parfaitement cette réalité (sa pratique dynamique le montre). S’il obligeait ses élèves à adopter hito e mi à l’arrêt, c’est comme on fait dans un film un arrêt sur image, pour permettre à chacun de mieux voir et comprendre.
La toute première technique illustrant ce principe de déplacement est ikkyo omote. Et on peut vérifier sur les photos suivantes d’O Sensei qu’il est scrupuleusement respecté :
On voit clairement que le pied droit d’O Sensei, qui est dans la direction d’uke sur la photo 1, a glissé en ouvrant sur la droite dans la photo 2, continue à ouvrir pour pouvoir descendre uke vers la droite sur la photo 3, et se trouve complètement ouvert dans la photo 4, ce qui permet à la partie gauche du corps d’entrer pour amener au sol.
Par la mise en rotation du corps et l’ouverture des pieds, le seika tanden s’oriente comme on le voit à environ 23° d’angle c'est-à-dire précisément dans l’angle d’inclinaison de la terre, et la technique s’effectue ensuite en tournant autour de cet axe. Quand O Sensei déclare que pour faire de l’Aikido il faut connaître et utiliser la rotation de la terre, il ne s’exprime pas du tout comme on le croit généralement par parabole : il décrit très exactement la réalité du mouvement d’Aikido et livre une indication pratique à qui veut bien l’entendre.
Nous pouvons donc désormais positionner la technique ikkyo en toute confiance sur notre figure (en gardant présent à l’esprit que l’angle directionnel considéré est celui du pied avant qui est toujours supérieur de quelques degrés à celui du seika tanden).
Ce sera notre point de départ.