Kajo #23
Nous avons présenté dans le Kajo #21 le dessin de Bansen Tanaka, tiré de son livre Aikido Shinzui (L’essence de l’Aikido).Le kanji en haut à droite indique « l’énergie(ki) du vide ». Le vide n’est pas le néant, le vide est ce qui n’est pas encore, l’énergie qui précède l’être.
Les mots sont impuissants à le nommer.Le kanji en bas à droite indique lui « l’épaisseur d’une feuille de papier ».Les deux kanjis inscrits dans le cercle signifient « non-être » et « être », verticalement.On peut traduire ainsi : la venue harmonieuse du non-être à l’être s’opère par la spirale née de l’énergie du vide, et qui tourne et trouve sa place dans l’épaisseur d’une feuille de papier.
Juste à côté de ce premier dessin, Bansen Tanaka utilise un second dessin qui semble, à première vue, illustrer simplement un déséquilibre, mais qui est en réalité une clef magnifique pour qui le lit désormais à la lumière des informations fournies par les kajos :
Nous voici donc revenus à notre point de départ, au kajo #2 :
L’univers et le corps humain sont une même chose. Si l’on ne sait pas cela on ne comprend pas l’aiki. Parce que l’aiki est issu du mouvement de l’ensemble de l’univers.
— Morihei Ueshiba, Takemusu Aiki - Volume III – Editions du Cénacle de France.
Les lois de l’Aikido sont les lois de l’univers.
La différence c’est que nous savons désormais quoi mettre sous ces lois, nous savons que l’épaisseur de cette feuille de papier est de 23°, nous savons que cet angle est choisi par le vide pour donner naissance dans les huit directions aux techniques de Takemusu Aiki, et nous avons montré ce que cela implique concrètement en Aikido.
On peut bien sûr dessiner un cercle autour d’un homme, comprendre que ce cercle est la limite de son pouvoir, et comprendre aussi que la force de cet homme est annulée, quelle que soit sa puissance physique, pourvu qu’on parvienne à le maintenir en dehors de ce cercle, tout en restant soi-même au cœur de son propre cercle.
Mais ceci n’est qu’un premier niveau de lecture du dessin de Bansen Tanaka, c’est le constat.
Le deuxième niveau de lecture de ce dessin, au-delà du constat, c’est qu’il livre également la méthode pour maintenir l’adversaire en dehors de son cercle.
Cette méthode consiste à « faire confiance à la divinité », comme le dit Ueshiba, c’est à dire à laisser agir le vide. Et ceci n’est pas un vain mot désormais, car nous savons, au terme de cette étude sur les kajos, comment agit le vide : il se développe en spirale en prenant appui sur les quatre âmes, à partir de l’angle de 23°, ainsi que nous l’avons montré.
Nous parvenons ainsi, pour finir, à l’archétype suivant, où l’on a supprimé la spirale verte et corrigé les maai erronés de certaines techniques, telles qu’elles avaient été précédemment présentées :
De toutes les figures que nous avons utilisées jusqu’ici, cette dernière est la seule qu’il faille retenir in fine. Toutes les autres figures, jusqu’à elle, avaient pour but de servir de support à une approche de la vérité. Elles étaient fausses ou incomplètes mais néanmoins nécessaires à la compréhension progressive de lois difficiles à visualiser en une fois. Nécessaires pour ceux qui me lisent, mais nécessaires aussi et surtout pour moi qui ai fini par comprendre ceci : à moins que la grâce n’intervienne, la vérité, est une erreur que l’on a corrigée.
Le petit dessin de Bansen TANAKA est un bijou.
Tout l’Aikido est dans ces deux croquis. Ils sont d’une telle concision qu’ils auraient pu figurer aux côtés du message terrestre aux civilisations de l’Univers emporté en 1972 vers les espaces de notre galaxie par la sonde Pioneer 10.
Un grand merci pour cela à ce grand monsieur, élève de Morihei Ueshiba dès 1936, proche du Fondateur qu’il accueillit dans sa maison d’Osaka pendant des années, et pour de longues périodes.
Un grand merci également à Tadashi ABE, élève direct lui aussi d’O Sensei, mais un peu plus tard, dans l’immédiat après-guerre. C’est lui qui a laissé à la postérité la trace des kajos, en persistant à les enseigner dans les années 1950 en France, à une époque où cette connaissance disparaissait sous les assauts de la modernité. Sans lui cette étude sur les kajos n’aurait certainement jamais vu le jour.
Je remercie Morihiro SAITO, bien entendu, mon maître d’Iwama.
Son dévouement à l’Aikido fut exemplaire, toute sa vie.
S’il ne m’a jamais parlé directement des kajos, il m’a fourni patiemment et scrupuleusement, pendant des années, tous les éléments techniques nécessaires à les comprendre.
Je remercie mon ami Pierre CHASSANG, élève de Tadashi ABE.
Nos discussions autour de l’Aikido, ces trente dernières années, sa vision, son enthousiasme, et son enseignement toujours pertinent, ont été une source de connaissance et de motivation, et m’ont aidé à tenir sur le long chemin qui mène aux merveilles de l’Aiki.
Je remercie enfin mon ami Alain Grason.
Nos entraînements et nos discussions ces dernières années ont ouvert les pistes qui, à partir de hanmi et de hito e mi, ont mené jusqu’à la publication des kajos.
Je dois pour finir un amical clin d’œil à cette vieille ammonite qui a traversé tant de millions d’années pour m’aider à comprendre l’Aikido. C’est avec elle que j’ai commencé ces dossiers (cf Kajo #1) et c’est avec elle que je les termine. La vie est une longue chaîne. Et je ne résiste pas au bonheur de citer une fois encore ce mot de Pythagore :
Tu connaîtras, autant qu’il est possible à un mortel, que la nature est en tout semblable à elle-même.
Rien n’est terminé bien-sûr avec ce 23ème kajo.
Nous n’avons jusqu’à ce point considéré que le tai jutsu de l’Aikido, et encore très brièvement.Le même travail reste à faire pour l’aiki ken et l’aiki jo.
Pour ceux qui souhaiteraient chercher dans cette direction, je donne simplement une piste en deux mots : happo giri, la coupe des huit directions.
Au fait, savez-vous ce que kajo signifie ?
Croisement des lignes…
On ne peut pas dire que la voie ne soit pas balisée. Il suffit d’ouvrir les yeux en laissant tomber le manteau des préjugés.
Je remercie vivement tous ceux qui m’ont suivi jusqu’ici, en disant encore à ceux que je n’ai pas su convaincre et qui pensent que j’ai pu inventer tout cela, qu’ils me font trop d’honneur.
Personne ne peut inventer un système aussi merveilleux. On ne peut que le regarder, le cœur plein de reconnaissance, et remercier le Ciel de nous avoir permis de le voir.
En la matière, le seul remerciement véritable est de le mettre en pratique.
Philippe Voarino, Antibes, 03 août 2012.