SATO TORRO ROTATAS ROTAS
OPE OPERA RARA
TENE ET A RE ARREPO
Je sème dans un sol aride des boucles qui tournent sur elles-mêmes,
travaille avec acharnement,
tiens bon, et, par ce moyen, je m’approche de toi.
— Charles Cartigny, Le carré magique (décryptage du carré sator)
Nous avons vu jusqu’ici comment les techniques d’Aikido s’enroulent sur la spirale intérieure et sur la spirale extérieure, et comment c’est aux points d’intersection de la spirale avec les quatre diamètres de la sphère circonscrite qu’elles trouvent deux par deux leur place. Les quatre diamètres n’étant que l’expression géométrique des quatre grandes lois que sont ippo, nipo, sanpo et yonpo.
La rigueur absolue de ce système est tout à fait extraordinaire.
On pourrait concevoir en effet qu’un esprit habile puisse organiser un système théorique où les techniques soient reliées deux par deux selon des critères de nature géométrique dans des angles constants et symétriques.
On pourrait, à la limite, accepter encore qu’un cerveau exceptionnel soit capable de coupler cette relation géométrique avec les lois mathématiques qui régissent la spirale logarithmique sur laquelle s’enroulent les techniques.
Mais comment concevoir qu’un modèle théorique aussi complexe soit, en même temps, ajusté aux possibilités du corps humain de manière si étroite et si parfaite que l’exécution pratique du mouvement ne puisse atteindre un degré d’harmonie totale, et donc de perfection, qu’en respectant scrupuleusement le plan proposé ? Il y a dans cette adéquation quelque chose qui semble difficile à expliquer avec les outils ordinaires de l’entendement.
Je vais donner un exemple de ce que j’essaie d’expliquer et des précisions stupéfiantes, quant à la pratique corporelle du mouvement, qui sont contenues dans ces spirales à l’apparence aride.
Nous nous sommes jusqu’à présent contentés de placer les techniques aux intersections, sans voir dans ce repérage autre chose qu’une indication de direction ou d’angle, ce qui était déjà d’un grand intérêt évidemment. Mais, ce faisant, nous avons négligé la prise en compte d’un élément du système qui nous avait échappé, erreur que nous allons réparer à partir de maintenant.
Il y a en effet une information supplémentaire contenue dans la spirale, une autre information remarquable: il s’agit de la distance, du maai.
Il est important de bien comprendre ceci : le rapport de distance qui existe dans la réalité corporelle, c’est à dire dans le mouvement d’Aikido à proprement parler, entre nikyo omote et kote gaeshi, est égal au rapport OA/OB tel qu’il est signalé sur la figure ci-dessus.
Autrement dit, dans les techniques complémentaires nikyo omote et kote gaeshi, uke est réellement amené au sol dans un maai de rapport égal à celui formé, sur la figure, par les deux segments de droite OA et OB.
Prenons un autre exemple : nous savons qu’ikkyo ura et gokyo omote s’effectuent sur la même ligne, dans la même direction. L’exécution physique, corporelle, du mouvement confirme ce point, mais elle montre aussi, pour qui prend la peine d’analyser ses sensations corporelles, et d’observer son déplacement de corps, que la distance d’exécution, par rapport au centre, n’est pas la même. Et bien, chose très surprenante, la spirale indique clairement cela. Comme si elle connaissait la nécessité corporelle dans laquelle se trouve l’homme, elle en tient compte dans son parcours et place ikkyo ura et gokyo omote là où ils ne peuvent qu’être :
Cette relation entre le parcours de la spirale et la nécessité physique, pour l’homme, d’exécuter tel ou tel mouvement à un endroit précis et pas à un autre, est très remarquable.
D’abord d’un point de vue pratique, parce que c’est évidemment une indication d’un formidable secours pour parvenir à une exécution idéale du mouvement.
Mais également d’un point de vue théorique, parce que cette relation n’est pas vérifiée seulement pour quelques techniques isolées – ce qui pourrait être attribué à la coïncidence – elle est au contraire vérifiée pour toutes les techniques sans exception. Et on peut s’en assurer au cas par cas à l’entraînement.
Cette dernière découverte a une conséquence majeure quant à l’unité du système que nous avons sous les yeux. L’enroulement de la spirale logarithmique est tel en effet que l’on dit d’elle « eadem mutata resurgo », expression que l’on peut traduire par : « transformée, je réapparais, égale à moi-même », parce que tous les points de la spirale logarithmique sont, entre eux, dans un rapport de nature homothétique (du grec homo-semblable et thesis-position), ce qui veut dire, pour faire simple, que toute transformation géométrique peut être traduite par une correspondance de nature mathématique entre deux figures de même forme et de même orientation. Or forme et orientation symétriques sont bien ce que nous avons constaté dans les couples de techniques d’Aikido.
Pour ce qui concerne l’Aikido, cette particularité de la spirale logarithmique, appelée aussi spira mirabilis, entraîne donc la conséquence majeure suivante : le rapport de maai entre ikkyo et shihonage est égal au rapport de maai entre nikyo et kote gaeshi qui est égal au rapport de maai entre sankyo et kaiten nage, qui est égal au rapport de maai entre yonkyo et tenchi nage, qui est égal au rapport de maai entre gokyo et irimi nage, qui est égal au rapport de maai entre ikkyo omote et ikkyo ura, qui est égal au rapport de maai entre nikyo omote et nikyo ura, qui est égal au rapport de maai entre sankyo omote et sankyo ura, qui est égal au rapport de maai entre yonkyo omote et yonkyo ura, qui est égal au rapport de maai entre gokyo omote et gokyo ura.
Ceci veut dire que toutes les techniques d’Aikido sont unies par un lien qui a rapport à leur origine et à leur essence même. Ce lien est vérifiable sur le plan géométrique et démontrable sur le plan mathématique, et il les apparente. Elles sont unies par lui à la manière d’un lien de sang, et c’est pour cette raison qu’elles appartiennent à la même famille.
Je comprends parfaitement la difficulté d’être convaincu de telles choses par les seuls arguments intellectuels.
Pour qu’une relation de maai aussi subtile entre les techniques soit acceptée comme une vérité, elle doit être expérimentée, sentie, vérifiée par le corps. Comme tout ce qui est expliqué dans ces kajos, elle doit être mise à l’épreuve sur un tatami, sous la direction d’un enseignant qualifié, sans quoi ce n’est que lettre morte. Il n’y a pas de connaissance authentique qui, à un moment donné, ne passe par le corps.
Mais j’attire tout de même l’attention sur le fait que quiconque doute de ce que j’avance, me fait, sans s’en rendre compte, un honneur que je suis à des années lumière de mériter. Douter revient en effet à imaginer que je sois capable d’avoir conçu seul, dans sa complexité, ce système que je me contente de décrire si laborieusement depuis des mois, sans même parvenir à en percevoir les limites qui reculent sans cesse.
En tout cas, grâce à la mise en évidence de ce genre de relation, on commence peut-être à mesurer avec davantage d’acuité de quoi il est question véritablement dans la fameuse notion de riai. Le monde dans lequel nous sommes entrés est en effet aux antipodes du monde dans lequel on imagine que des mouvements sont apparentés, au prétexte naïf que leurs formes manifestent quelques ressemblances. De telles comparaisons demeurent tout à fait extérieures, elles ne font qu’effleurer la surface des choses, sans parvenir au lien profond qui touche la racine des mouvements.
Philippe Voarino, juillet 2012.