Le dossier technique précédent expliquait comment et pourquoi il faut, dans le premier temps de la méthode pédagogique, exécuter ce jo dori juju nage sur une ligne, et se contenter de projeter uchi dans la direction d’où il vient.
La vidéo montre ici que la version appliquée de ce même exercice introduit une dimension qui a volontairement été retranchée de la version pédagogique, la rotation irimi-tenkan :
On voit que la technique en soi n’est pas modifiée par l’usage d’irimi-tenkan, uchi est toujours projeté avec ses bras dans la forme d’une croix. Ce qui change, c’est le déplacement de nage dans l’espace, parce qu’il tient compte désormais des quatre directions et non plus d’une seule.
Par ce déplacement nouveau du corps dans l’espace s’opère une modification de la conscience de nage. Ce point est d’une grande importance.
En effet, aussi longtemps que nage pratique l’exercice en ligne dans le cadre de la méthode, il pense que son objectif consiste à s’emparer de l’arme d’uchi tout en projetant ce dernier avec une certaine technique qu’il doit apprendre et mettre au point par l’étude. Et il a tout à fait raison de penser ainsi puisque cet objectif est bien celui de la méthode d’entraînement, et qu’il n’y a rien d’autre que cela dans la méthode.
Le déplacement irimi-tenkan, en obligeant nage à pénétrer le cercle des attaquants, lui permet de prendre conscience que l’arme sur laquelle il vient de poser la main peut être utilisée dès la première seconde pour frapper les adversaires qui sont autour de lui. Il s’aperçoit alors qu’uchi n’est pas projeté comme il le pensait par la volonté qu’il peut avoir de le projeter, mais que la chute de ce dernier intervient comme la conséquence naturelle des mouvements de coupe et de frappe qu’il met en œuvre contre les adversaires qui l’entourent :
La découverte que la projection d’uke n’est pas l’effet d’une volonté de le projeter est en rapport avec le riai. Nage cesse de penser qu’il existe d’une part des mouvements pour saisir une arme et d’autre part des mouvements pour frapper avec une arme. Il comprend que ce genre d’attitude mentale équivaut à penser qu’une molécule d’eau peut être tantôt de l’hydrogène et tantôt de l’oxygène. C’est faux évidemment, une molécule d’eau est seulement le résultat de la collaboration de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène. Elle est H2O et rien d’autre, et si la molécule d’eau est ainsi composée, c’est par l’interdépendance de ses éléments dans le Un. Il en va de même des techniques d’Aikido, elles sont en état d’interdépendance, elles ne sont rien si on défait le lien qui les unit dans le Un.
L’éveil de la conscience au riai ne peut pas naître aussi longtemps que l’étudiant pratique dans le cadre de la méthode. Car la méthode n’est pas conçue pour permettre cet éveil, elle a d’autres objectifs, nécessaires à préparer la possibilité de l’éveil mais incapables de le provoquer. L’éveil de la conscience est un travail personnel que le pratiquant d’Aikido ne peut entreprendre qu’au-delà de la méthode. Dans un travail de cette nature l’homme est seul, un guide peut éventuellement fournir quelques repères, et baliser les passages difficiles, mais c’est l’individu tout seul qui met un pas après l’autre dans le sentier et gravit la montagne… ou pas.