Quant à moi, j'ai dû accepter le neuvième dan. Tout le monde ici a insisté pour que je l'accepte.
Ici, c'est Iwama, et la personne qui m'écrivait ainsi en mars 1992, c'était Morihiro SAITO Sensei. Il devait me dire quelques mois plus tard à Iwama :
O Sensei m'a donné le huitième dan en 1968. Qui pouvait bien me donner un neuvième dan ? Voilà pourquoi j'ai toujours refusé.
Pourquoi alors a-t-il fini par accepter ? Quelle raison décisive l'a donc poussé à revenir sur la position constante qu'il avait adoptée depuis plus de vingt ans ?
Une rupture des relations diplomatiques entre Iwama et Tokyo
Chacun sait aujourd'hui qu'O Sensei vivait à Iwama et enseigna fort peu au Hombu Dojo de Tokyo après 1941. C'est pourquoi les élèves de cette époque, qui sont les maîtres d'aujourd'hui, n'eurent pas l'occasion d'apprendre l'Aiki-ken et l'Aiki-jo.
Maître SAITO dénonça cette lacune pendant bien des années avec aussi peu de complaisance que de diplomatie il faut bien le dire. Enfin, lassé de se heurter à un mur d'incompréhension et de mauvaise foi, il créa en 1989 une série de cinq certificats traditionnels appelés Mokuroku, sanctionnant la connaissance des armes de l'Aikido que l'Aikikai refusait toujours de reconnaître comme étant l'enseignement d'O Sensei.
Cette décision de Maître SAITO entraîna une rupture des relations diplomatiques entre Iwama et Tokyo. L'Aikikai ne pouvait en effet accepter sans réagir que le gardien du Temple de l'Aikido et du dojo d'O Sensei signifie ainsi clairement au monde entier que le Hombu Dojo, « l'Aikido World Headquarters»... ignorait tout de la pratique des armes de l'Aikido ?
La riposte arriva sous la forme d'une décision immobilière. Kisshomaru UESHIBA, prétextant des raisons fiscales, mit en vente la propriété familiale d'Iwama et donc le dojo de son père. Ipso facto Morihiro SAITO devait bien sûr quitter les lieux. Quelle belle manière indirecte de l'obliger à échouer dans la mission qui lui avait été confiée !
Maître SAITO avait promis en effet à O Sensei de protéger le dojo d'Iwama jusqu'à sa mort. Le sentiment qu'il n'allait pas pouvoir respecter son engagement jusqu'au bout lui était insupportable, et Kisshomaru qui le savait parfaitement jouait sur du velours. Dans ce contexte, un compromis devenait assez inévitable.
Du compromis au pacte
Kisshomaru UESHIBA abandonnerait de bonne grâce l'idée de vendre le dojo de son père - ce qui démontre assez que les raisons fiscales invoquées n'étaient qu'un prétexte - mais SAITO Sensei en échange abandonnerait définitivement le système des Mokuroku qui gênait tellement l'Aikikai.
Pour sceller le pacte, Maître SAITO devait également accepter le 9ème dan de l'Aikikai, reconnaissant par cet acte symbolique son autorité tutélaire.
C'est exactement ce qui arriva. Le système des Mokuroku, inauguré en 1989, ne dura pas au-delà de 1992, et l'on n'entendit plus jamais SAITO Sensei critiquer l'enseignement du Hombu Dojo.
Voilà dans quelles circonstances il « dut » accepter le neuvième dan Aikikai.
La situation actuelle
Morihiro SAITO est mort le 13 mai 2002. Jusqu'au bout il a donc tenu la promesse faite à O Sensei de veiller sur son dojo.
Hito Hiro SAITO a ainsi succédé à son père à la tête du dojo d'Iwama juste après que Moriteru UESHIBA ait succédé au sien à la tête de l'Aikikai.
L'histoire de l'Aikido lie manifestement ces deux familles de manière étroite. Morimaru, fils aîné d'Hito Hiro, qui emprunte le début de son prénom à son grand-père Morihiro et la fin à Kisshomaru doshu, fils d'O Sensei, est le symbole de cette union.
Mais c'est de l'union des contraires qu'il s'agit. Et Moriteru UESHIBA s'est chargé de le rappeler à Hito Hiro en le plaçant bien vite devant le même choix que son père.
Ou bien Hito Hiro acceptait la tutelle de l'Aikikai, c'est-à-dire renonçait à tout système de grades indépendant, et ne parlait plus d'Aiki-ken et d'Aiki-jo. Auquel cas il pourrait comme son père continuer à enseigner dans le dojo d'O Sensei.
Ou bien il refusait cette tutelle, continuait à enseigner l'Aiki-ken et l'Aiki-jo et à délivrer les grades de l'école d'Iwama. Et dans ce cas il perdait l'autorisation d'enseigner dans le dojo d'O Sensei où il devenait persona non grata.
Hito Hiro a considéré que l'abandon délibéré d'une vaste partie des pratiques transmises par le Fondateur de l'Aikido était un prix trop élevé pour demeurer à l'Aikikai. Il a donc choisi d'habiter sa propre maison et a fondé son organisation sous le nom d'Iwama Shinshin Aikishurenkai.
Par conséquent, il n'est plus membre de l'Aikikai, et ne peut plus enseigner dans le vieux dojo d'Iwama.
Mais la plupart des sempai formés par son père ont eu beau jeu de faire valoir que Morihiro SAITO, malgré tous ses déboires avec le Hombu Dojo, n'avait finalement jamais quitté l'Aikikai, et qu'ils ne voyaient donc pas non plus la nécessité - pour ce qui les concernait - de quitter l'aile protectrice de la grande maison.
Ainsi, après le Sénat romain, Louis XI et Catherine de Médicis, l'Aikikai semble avoir fait sien le « Divide et impera », le divise et règne des anciens. Et la victime cette fois n'est plus la France ou la Belgique (cf. l'article [->art23]), la victime est au Japon même, c'est l'école d'Iwama.
Hito Hiro SAITO est interdit au dojo d'O Sensei, il enseigne désormais dans un nouveau dojo construit sur sa propriété. A quelques dizaines de mètres de là seulement, et aux mêmes horaires certainement, dans le vieux dojo d'Iwama, enseignent les sempai de son père, auxquels le nouveau Doshu s'est empressé évidemment de délivrer l'autorisation d'y faire cours.
Il est urgent de rappeler qu'Aiki - contrairement à ce qu'on entend partout - n'a jamais signifié la voie de l'union, sans quoi la société des aikidokas pourrait bien essuyer quelques moqueries méritées.
Mais quid d'Iwama ryu dans ces Machiavéliques querelles ?
A la fin des années 1990, à l'initiative de quelques occidentaux dont Paolo Corallini en Italie et Ulf Evenas en Suède, est né un groupement appelé Iwama Ryu. Voilà ce que m'écrivait à ce sujet Morihiro SAITO en octobre 1997 :
Le groupe Iwama Ryu a été créé en Europe. Mais je n'ai rien fait pour encourager cette création. (...) Les élèves japonais d'Iwama n'ont rien à voir avec le groupe Iwama Ryu et n'en connaissent rien.
et ce qu'il écrivait à Patricia Guerri en décembre 1999 :
Iwama Ryu n'est pas une association. Il s'agit plutôt d'un groupement d'amateurs sans statuts, sans cotisation et sans membres officiels.
Maître SAITO, qui n'a donc ni créé ni voulu « Iwama Ryu », avait pour le moins une certaine distance à l'égard de ce groupement, contrairement à ce que l'on a tenté de faire croire à grand renfort de propagande.
En voilà la raison.
O Sensei vécut 28 ans à Iwama. A sa mort, son dojo continua à vivre, animé par Morihiro SAITO. Les années passèrent, et à cause du caractère très fort de ce lieu et de son authenticité - rappelons qu'Iwama fut Hombu Dojo jusqu'en 1956 - on prit l'habitude de dire Iwama ryu pour faire référence à l'enseignement du dojo d'Ibaraki dont le nom authentique est en réalité Aiki Shuren Dojo.
Les uchi deshi américains d'Iwama qui, comme tous leurs compatriotes, ont le goût des formules rapides, ont fait passer à la postérité l'expression « Iwama style ». Et cette formule est aujourd'hui employée partout sans discernement. Pourtant je me rappelle parfaitement Maître SAITO expliquant un jour à la fin d'un entraînement que cette expression était acceptable uniquement si l'on gardait à l'esprit que cet « Iwama style » n'était pas une façon parmi d'autres de pratiquer l'Aikido, mais que c'était l'Aikido du Fondateur tel qu'il le pratiquait à Iwama entre 1941, année de son installation dans ce petit village, et 1969, année de sa mort.
Iwama Style
Car ce qui est enseigné en réalité et depuis toujours au dojo d'Iwama, ce n'est pas un « style » d'Aikido, c'est le Takemusu Aiki d'O Sensei.
Et il y a danger, si l'expression « Iwama style » est utilisée en dehors de son contexte précis, qu'elle contribue à ancrer dans les consciences l'idée déjà fort répandue qu'en Aikido tout serait permis. Qu'il y aurait des genres divers et que chacun choisirait le sien un peu comme on va faire ses courses au marché.
Dans une telle perspective on justifiera demain en Aikido jusqu'à la mode et n'importe lesquelles de ses fanfreluches techniques !
Pourtant, tous les discours des évolutionnistes n'y peuvent rien : il n'y a qu'un Aikido. Et les « styles » et « tendances » des esprit larges, autrement dit de tous ceux qui s'abritent derrière l'ouverture d'esprit pour ménager en réalité la chèvre et le chou, ne sont qu'un voile jeté sur des lacunes et l'élégant habillage de l'ignorance.
Holà que d'intolérance! Certitude, servitude monsieur le sectaire ! On m'appliquera bien sûr ce lieu commun avant qu'il soit long temps, et on me clouera sans vergogne au pilori des préjugés. C'est qu'on n'aura pas encore compris que la différence et le droit à la différence sont une évidence sur laquelle il ne convient même pas de discuter, mais que cette différence toutefois ne peut s'étendre au-delà d'une certaine limite. Cette limite est celle que lui impose le champ d'application du principe de l'Aikido.
Et si je dois être tout à fait concret, je dirai ceci : il n'y a pas de différence fondamentale entre SHIODA et SAITO par exemple. En revanche, entre ces deux et l'Aikikai il y a la mer. Ce qui explique d'ailleurs au passage l'attitude indépendante qu'ils adoptèrent tout au long de leur vie d'enseignants.
Iwama Style, Iwama Ryu ...
Dans leur enthousiasme, les promoteurs occidentaux d'un Iwama Ryu à l'échelle de la planète ont donc tout simplement perdu de vue qu'Iwama ryu est une école d'Aikido située au Japon, à Iwama. Qu'elle est locale par nature, et quelles que soient par ailleurs ses qualités. Et qu'elle ne peut pour cette raison prétendre - par principe - à un caractère universel.
Ce qui est universel en revanche, c'est le Takemusu Aiki de Vérité. Et ce n'est qu'autour de cette notion que l'art d'O Sensei a une chance de rayonner dans la société des hommes autrement qu'à la manière d'un passe-temps plus ou moins lucratif.
Voilà pourquoi Maître SAITO a toujours conservé ses distances par rapport au groupement « Iwama Ryu ».
TAI Takemusu Aiki International / TAI Takemusu Aiki Intercontinental
Paolo Corallini, qui semble avoir compris sa méprise, la corrige aujourd'hui. Il vient de créer TAI, Takemusu Aiki International...douze ans après que d'autres aient créé... TAI, Takemusu Aiki Intercontinental en 1992.
Puis-je faire autrement que de lui adresser ici un clin d'œil amusé ?
Mais pour qu'un temple soit construit, il faut bien sûr qu'un temple soit détruit.
Les fondateurs du groupe Iwama Ryu ont déclaré peut-être un peu vite, après la mort de Maître SAITO, qu'ils n'accepteraient jamais, et considéreraient comme une véritable trahison de tous leurs idéaux, le ralliement d'Hito Hiro à l'Aikikai.
Quelque mois à peine après le procès d'intention qui lui était fait, Hito Hiro annonça officiellement sa décision de poursuivre l'œuvre de son père de manière complètement indépendante, c'est-à-dire, comme nous l'avons vu, en rompant avec l'Aikikai.
Et bien que croyez-vous qu'il advint ? Que le front rasséréné, nos zélotes Iwamariens se rallièrent avec ferveur au panache du fils SAITO ?
Les Fondateurs d'Iwama Ryu rejoignirent avec troupes et enthousiasme...l'Aikikai qu'ils avaient tant voué par le passé à leur détestation.
Certes ce genre de pirouette sera grassement récompensé. Et demain le TAI « nouveau » sera investi sans doute du droit de décerner directement les grades dan Aikikai. Mais la question est de savoir quelle valeur il convient d'accorder à un pouvoir acquis au prix du reniement et de la forfaiture.
L'abri des puissants n'est pas garant de la vérité. Et le cou de certains hommes est décidément marqué de la trace du collier.
A vrai dire, maintenant que la locomotive d'Iwama Ryu n'a plus de conducteur, certains qui sont montés dans ce train avec d'autres et après les autres, mais qui ont beaucoup investi dans la promotion de cette image, tel par exemple Daniel Toutain en France, doivent se sentir bien seul.
Rétablissont les choses ...
Mais foin de la malveillance et du dénigrement ! Quel sycophante surgi de son village remplit donc ces colonnes ? J'entends déjà les commentaires.
Et bien j'accepte l'idée de dénoncer si c'est au sens étymologique du latin denuntiare que l'on prend ce mot qui veut dire « faire savoir, informer ». Car on entend tellement de sottises et de contre vérités qu'un jour vient l'envie de rétablir les choses.
Pour cela il faut prendre le risque parfois de parler un peu de soi. Honni soit qui mal y pense.
J'ai commencé l'Aikido en 1977 auprès de Nobuyoshi Tamura avec qui j'ai travaillé dix ans. Puis j'ai rencontré Maître SAITO dont je suis devenu uchi deshi.
Je suis membre du dojo d'Iwama depuis le mois de février 1986, c'est-à-dire, pour situer les choses, quelques mois après Paolo Corallini et sept années avant que Daniel Toutain, rempli de doutes sur sa pratique de l'époque, ne vienne me demander au printemps 1993 de l'initier au Takemusu Aiki et de le présenter à Morihiro SAITO.
J'ai organisé en 1989 la venue et la tournée en France pendant quinze jours de Maître SAITO qui a dormi plusieurs fois dans ma maison.
J'ai entretenu avec lui des relations presque familiales et une importante correspondance jusqu'à sa mort. Des uchi deshi de la dernière heure ont laissé entendre le contraire, ce sont sornettes, billevesées et politique du caniveau. On se secoue une bonne fois et on se débarrasse de la vermine.
J'ai obtenu de la main de Morihiro SAITO les cinq Mokuroku d'Aiki-ken et d'Aiki-jo entre 1989 et 1991. Nous ne sommes pas une dizaine dans le monde à les posséder.
Maître SAITO m'a décerné le sixième dan « Iwama ryu » au mois de janvier 2001. Dans sa lettre datée du 22 janvier accompagnant le diplôme il écrit :
Concernant votre 6ème dan, il n'y a aucun problème. Vous êtes instructeur du vrai Takemusu Aiki. Et comme instructeur vous respectez fidèlement ce que je souhaite sincèrement. Je ne suis pas très doué pour la calligraphie, mais je vous ai écrit avec mon cœur.
J'ai aussi soumis au Kamisama. Je crois que O Sensei l'a également accepté.
Recevez-le, je vous en prie.
Vous êtes le troisième élève d'Iwama qui obtient ce grade.
Je suis fier d'appartenir au dojo d'Iwama. J'ai fait, et je ferai mon possible pour soutenir cette école à laquelle je dois l'Aikido que je pratique aujourd'hui et une gratitude immense pour les horizons que cette pratique m'a ouverts.
Mais j'ai suffisamment expliqué pourquoi je n'ai pas cru bon de m'associer au montage que l'on a tenté de faire en Occident avec le concept d'Iwama, et pourquoi j'ai trouvé en 1992 qu'il était bien davantage porteur d'avenir de créer TAI.
« Iwama Ryu », « Iwama Style »...
Quelle chapelle, quel clan ont jamais dépassé tels quels leurs frontières naturelles ?
On sait aujourd'hui que Paul de Tarse, aidé vraisemblablement de quelques compagnons dont l'histoire n'a pas conservé le nom, a su reconnaître et mettre en valeur l'élément universel caché au cœur de l'enseignement de Jésus. Et que sans le travail de ces hommes, qui rendit possible l'existence et l'expansion ultérieure du Christianisme, le seul avenir promis à la petite secte nazaréenne eut été l'oubli.
Iwama est un lieu magique, un lieu où souffle l'esprit. Mais l'élément universel c'est Takemusu - O Sensei l'a maintes fois écrit et répété.
J'ai laissé à Iwama beaucoup de souvenirs et la fin de ma jeunesse, et j'aime cet endroit comme l'aimait O Sensei. Mais ce dont il parlait et ce qu'il a proposé au monde ce n'est pas un « Iwama International », ce n'est pas un quelconque « Iwama Style », c'est Takemusu. Sachons regarder au-delà des apparences et ne pas nous tromper d'objet.
Takemusu est le pouvoir de procréation de l'Aikido.
Prenons le temps de lire encore une fois les paroles du Fondateur :
Takemusu est L'harmonisation du Feu et de l'eau de la création ; Cette interaction est la source Des techniques absolues du GI et du MI.
Dôka 12
Prenons surtout le temps de les comprendre.
Philippe Voarino, 27 juin 2004