IAF - Sommet 2024
En dépit de mes fonctions au sein de l’IAF, la Fédération Internationale d’Aikido, j’ai regardé de très loin les démonstrations techniques qui ont agrémenté le "Sommet" 2024 de l’organisation, qui s’est tenu à Tokyo au début du mois d’octobre.
Je suis un technicien de l’Aikido.
Je tiens de Nobuyoshi TAMURA - qui a marqué ma jeunesse jusqu’en 1986 - l’envie de faire de l’Aikido, mais je ne tiens pas de lui la technique.
Je tiens de Morihiro SAITO - qui m’a formé à Iwama de 1986 à 2000 - la technique, mais je ne tiens pas de lui la connaissance du principe de l’Aikido.
Je tiens de Pierre CHASSANG - qui fut un ami très proche de 1986 à 2013 - ma compréhension du principe de l’Aikido.
Ces trois personnalités ont fortement marqué l’histoire de l’Aikido international pendant la deuxième moitié du vingtième siècle, et je ne peux pas me plaindre, je crois, de la formation que j’ai reçue à leur contact depuis mes débuts.
Pierre est mort le dernier des trois en 2013, et ce que j’ai appris depuis cette date en Aikido ne m’a pas été donné, je l’ai trouvé. Je ne l’ai pas inventé, je l’ai découvert grâce aux éléments qui m’ont été transmis par ces maîtres au cours des décennies précédentes.
Ce bref rappel était nécessaire à introduire mon propos qui est à contre-courant de la conception moderne de l’Aikido, ainsi on pourra tout me reprocher sauf l’absence de légitimité à prendre la parole.
Ce que j’ai aperçu des démonstrations d’Aikido du Sommet 2024 de l’IAF me confirme que le principe de notre art n’a pas encore été compris des plus hauts gradés qui ont contribué au spectacle de cette grand-messe internationale de l’Aikido.
En vérité, un spectacle d’Aikido est justement la dernière chose que je veuille regarder. Il est vrai que l’Aikido est spectaculaire quand il est authentique, mais il ne doit jamais être un spectacle. Or je n’ai vu sur le plateau aménagé par l’IAF qu’une mise en scène de l’Aikido, des compositions, des arrangement d’attaques et de techniques parfaitement irrespectueux de la réalité, un spectacle donc. Et que ce spectacle soit éventuellement agréable à regarder pour un œil non averti est indifférent.
L’esthétique n’est pas le critère qui convient à une démonstration d’Aikido, le seul critère devrait être le réel.
Je m’explique.
Prendre en compte la réalité avec l’Aikido veut dire être attentif aux contraintes imposées par la présence permanente d’un danger venu simultanément des quatre directions, le déplacement doit tenir compte de cette exigence. Or les pratiquants que j’ai vus évoluer ne se déplaçaient pas dans le respect de ce principe, la réalité martiale était de ce fait négligée.
Pour qu’il y ait Aikido il faut un déplacement unique, qu’il y ait un seul, deux, trois ou quatre adversaires. Il faut se déplacer avec un adversaire comme on se déplacerait avec quatre, et se déplacer avec quatre comme on se déplacerait avec un seul. Cette recommandation d’O Sensei revient à dire qu’il faut toujours bouger de la même manière. Ce que l’on voit au contraire dans ces démonstrations, ce sont des gens dont les déplacements varient au gré des attaques et des mouvements, qui appliquent des recettes techniques hétérogènes au lieu de répondre de manière unique à des situations différentes.
L’Aikido est en rapport avec l’éternel retour du même : le déplacement n’y varie pas selon les circonstances, il obéit à une loi unique, une loi géométrique qui règle l’action et décide donc de la dynamique. Tant que cette loi n’est pas comprise, on peut faire dix mille fois kote gaeshi et irimi nage, on ne fait pas de l’Aikido pour autant. Car l’Aikido ne se trouve pas dans les gestes, ou plutôt il ne s’exprime dans la gestuelle du corps que dans la mesure où celle-ci manifeste le respect de la loi. Quand les techniques et les chutes sont la conséquence de cette loi, elles ont la beauté de l’authenticité, de la conformité au réel, de l’approbation au réel. Quand elles négligent au contraire les contraintes de la réalité elles sont feintes et artificielles, elles désavouent le réel, elles n’expriment qu’un rêve.
Et je suis désolé de constater, bien qu’une génération ait poussé l’autre, que rien n’a changé depuis l’article que j’écrivais en janvier 1996 dans le magazine Karate Bushido : "Lettre ouverte à l’Aikikai". Au milieu d’un aréopage hiératique et un brin affecté, réuni j’imagine pour juger la bonne tenue des démonstrations de l’IAF, on voit en effet siéger le Doshu Moriteru Ueshiba et son fils le jeune maître, arrière-petit-fils d’O Sensei, mais cela n’est malheureusement gage de rien du tout, pas plus que le nombre n’est garant de la vérité :