Gaby
Gaby, j’ai retrouvé cette photo jaunie de mon grand-père, c’est amusant elle a été prise l’année de ta naissance, en 1932. Il avait l’air fier de sa Peugeot, une 190 Torpedo.
Cette photo t’aurait peut-être intéressé puisque tu fais partie de ces générations d’hommes venus au monde sur les bords du Doubs, qui par leur courage, leur ardeur au travail et leur dévouement, ont rendu possible l’aventure Peugeot, et pris ainsi leur part dans la légende des siècles qui ont façonné la France.
Dévouement, c’est un mot qui va avec bienveillance, avec persévérance, avec honnêteté et générosité, avec modestie aussi. C’est avec tous ces mots que tu as construit ta vie, avec les sentiments qui les accompagnent, comme s’ils étaient naturels, comme si tu n’en voulais pas d’autres à ton répertoire.
C’était une drôle d’idée en 1960 d’aller déchiffrer de mauvais livres en anglais pour tenter d’apprendre un art aussi étranger à la Fraintche-Comtè que l’Aikido. Tamura a débarqué en France trois ans plus tard, il avait ton âge, trente ans, et il t’a décerné le 3ème kyu, tout étonné que tu sois parvenu à ce niveau technique sans l’aide d’un enseignant.
Fallait-il que vous y croyiez, toi et tes copains d’alors, fallait-il être curieux de la vie !
Chercher et transmettre, les deux vont souvent ensemble, vinrent alors la fondation du club de Sochaux-Montbéliard, celle du club de Boncourt en Suisse, enfin chez toi, à Dampierre-les-Bois, celle du club d’Aikido du Foyer des Jeunes.
Les jeunes, tu leur as donné tant et plus, tu leur as consacré une grande partie de ta vie. Peu nombreux sont les pères qui ont su transmettre une passion à leurs cinq garçons et la partager avec eux, comme on voit sur cette photo des années 1970.
Mais toi qui fis partie des pionniers, tu n’aimais pas te mettre en avant. Après avoir formé tant de jeunes pratiquants qui sont à leur tour devenus enseignants, tu leur as laissé la direction des cours pour ne plus te consacrer qu’aux débutants. Car tu ne cherchais ni les positions, ni les honneurs, ni les grades qui te faisaient sourire, et tu n’évoquais les querelles de clocher de l’Aikido qu’avec ce mot toujours répété : "Quel dommage !" pour exprimer avec pudeur le regret que les hommes se perdent toujours en futilités.
Et cela fait que tu as transmis ton enthousiasme et tes connaissances de la manière la plus juste, celle qui a laissé un bon souvenir et l’envie de pratiquer à tous ceux qui t’ont rencontré.
Gaby, on pouvait t’aimer pour la gentillesse naturelle de ton caractère, pour ta modestie, pour ton ouverture d’esprit et la tolérance qui allait avec, pour ta générosité, mais parmi ces qualités ce qui m’a ému le plus, je crois, est la sincérité qui a dirigé ton existence.
Ces quelques lignes ne résument pas ta vie bien sûr, mais elles sont ma façon de dire aujourd’hui à ceux qui les lisent combien j’avais de respect pour les valeurs que tu portais, combien tu m’as appris sans même t’en douter dans le registre de l’humanité, combien j’étais fier d’avoir ton estime et ta considération, et combien me manquera l’amitié de Gabriel Champeimont.
Philippe Voarino, 27 février 2021