Les différents points techniques de shiho nage ura sont bien connus : aligner les orteils, couper vers l’arrière, ménager une bonne extension du bras d’uke, toujours conserver la saisie devant soi dans la rotation etc.

Ce qui m’intéresse davantage ici, c’est de montrer qu’il n’y a qu’une spirale continue du début à la fin du mouvement. En effet, si le mouvement d’Aikido fonctionne bien selon le principe d’une spirale en rotation, alors il est tout à fait impossible que cette spirale n’aille pas au terme qui est le sien. Interrompre une spirale à mi-temps de son parcours pour la faire repartir en sens contraire est un artifice qui la prive de sa puissance au moment où cette puissance explosive est sur le point de s’exprimer, et dans un contexte tel qu’uke n’a plus aucune possibilité de chuter pour amortir l’effet de la technique.

Ceci doit nous faire réfléchir, car c’est pourtant en interrompant la spirale et en repartant en sens contraire que le mouvement de shiho nage est enseigné dans la méthode pédagogique de l’Aikido.
Mon sentiment est le suivant : si l’on avait voulu rendre l’entraînement moins dangereux, si l’on avait voulu protéger l’intégrité physique d’uke en empêchant certains pratiquants dangereux de nuire, et bien on n’aurait pas procédé différemment. Je rappelle que shiho nage est une technique létale et que les décès recensés pendant les entraînements d’Aikido, liés à des traumatismes crâniens ou à des ruptures cervicales, sont en majorité la conséquence d’une pratique extrême de shiho nage sous la direction d’instructeurs non qualifiés et inconscients.
Or le fait d’interrompre la spirale la prive de sa puissance destructrice, et limite l’effet dévastateur d’un mouvement appliqué sans retenue. D’autre part, le fait de terminer le mouvement de shiho nage en inversant cette spirale permet à uke de chuter (que ce soit avec un simple ukemi vers l’arrière, ou avec une chute avant autour de son bras), et d’éviter ainsi les traumatismes potentiels.

Je pense donc très sincèrement que l’exécution de shiho nage a été modifiée dans la méthode par souci d’assurer la sécurité d’uke. Un peu à la manière dont les samouraïs s’entraînaient avec des sabres en bois (bokken) pour éviter les blessures et les morts inutiles à l’entraînement.

Ceci fut une excellente décision, l’apprentissage doit être sage. C’est avec un immense respect et le cœur plein de reconnaissance qu’on doit saisir uke qui offre son corps et sa confiance pour nous permettre de progresser sur la voie. Quiconque profite d’une telle situation pour blesser l’autre est un dangereux idiot qui doit être instruit ou chassé du dojo.

ll n’est donc pas question de modifier une pratique aussi respectueuse de l’intégrité physique du partenaire. Toutefois, puisque nous prétendons rechercher le mouvement réel au-delà de la méthode, il était bon je crois de signaler cette divergence entre la méthode d’enseignement et l’authenticité du principe d’action de l’Aikido. Si la méthode ne devait pas un jour nous mener à l’Aikido d’O Sensei, on pourrait se demander quelle est sa fonction.

Philippe Voarino, mai 2018.