Dans le kajo #18, nous avons établi la relation entre omote et ura pour ce qui concerne les cinq techniques d’immobilisation, et montré à l’aide de croquis que le déplacement des pieds en spirale marque les angles successifs qui déterminent les directions des techniques:

Arrêtons-nous un instant sur un point très remarquable :

Les cinq immobilisations omote se trouvent toutes sur la partie de la spirale bleue comprise entre le point d’ikkyo omote et le point de gokyo omote. Cette portion de la spirale bleue est une spirale intérieure qui se déploie dans la demi-sphère d’omote. En effet, au-delà du point de gokyo omote, cette spirale bleue s’élargit et les techniques qu’on y trouve ne sont plus des techniques d’immobilisation (Terre), mais uniquement des techniques de projection (Ciel). Après ce point, elle perd donc son caractère de spirale intérieure pour devenir une spirale extérieure.

Tout cela est symétrique pour les formes ura des cinq techniques d’immobilisation qui, elles, se trouvent toutes sur la partie de la spirale verte comprise entre le point de gokyo omote et le point d’ikkyo ura. Cette portion de la spirale verte est une spirale intérieure qui se déploie dans la demi-sphère d’ura.

Ceux qui suivent ces kajos depuis le début savent bien que les connaissances auxquelles nous sommes parvenus ne sortent pas d’un chapeau. Pour arriver au point où nous sommes aujourd’hui, nous avons d’abord décidé qu’il n’y avait pas en Aikido de plus haute autorité qu’O Sensei, en conséquence de quoi nous nous sommes appuyés sur ses démonstrations et ses explications techniques. Avant d’affirmer quoi que ce soit, nous avons passé au peigne de la logique les éléments d’information qu’il a laissés, et nous avons croisé chacune de ces informations avec plusieurs autres afin que naisse de leur confrontation une vérification qui puisse nous permettre d’avancer sur un sol solide, un pas derrière l’autre. C’est ainsi, d’une manière expérimentale si l’on veut, par la vertu d’une cascade de conséquences logiques, que nous parvenons aujourd’hui à cette évidence de l’existence d’une spirale intérieure et d’une spirale extérieure. Et ce n’est rien ni personne d’autre que la structure même du système apparu sous nos yeux au fil des semaines et des mois qui nous a livré cette évidence…

Alors,
si l’on trouvait soudain une confirmation venant d’O Sensei lui-même, une confirmation claire et sans équivoque qu’il existe bien une spirale intérieure et une spirale extérieure, une confirmation inattendue, comme un cadeau sorti d’une pochette surprise de l’histoire de l’Aikido,

alors,
cette confirmation interviendrait à ce point de la recherche comme un sceau venant authentifier de manière inespérée mais incontestable la structure à laquelle nous sommes parvenus.

Cette confirmation existe. O Sensei l’a écrite de sa main.

Je ne l’ai découverte que récemment, bien après avoir débuté l’étude des kajos, avec le sentiment de comprendre pour la première fois véritablement le proverbe « Aide toi et le Ciel t’aidera ».
Elle se trouve à la page 9 de l’édition originale de Budo.
Vous ne la trouverez nulle part ailleurs parce que la version anglaise de Budo est censurée, et que la version française est traduite de la version anglaise.

Le texte original rédigé par O Sensei a été expurgé lors de la traduction, la phrase qui suit, aussi incroyable que cela paraisse, n’a pas été traduite du tout :

Concernant la façon de marcher, il existe les six directions extérieures, les six directions intérieures, la spirale extérieure et la spirale intérieure.
— O Sensei, Budo, 1938, page 9

Le texte original se trouve ci-dessous, entouré de jaune et peut être vérifié par n’importe quelle personne capable de lire le japonais :

Pour obtenir la totalité des couples ura-omote de l’Aikido, il faut encore ajouter aux cinq immobilisations le mouvement shiho nage. En effet, shiho nage est la seule technique qui possède, en commun avec ikkyo, nikyo, sankyo, yonkyo et gokyo, une application omote et une application ura.

Afin d’éviter toute confusion, il est bon de définir ici ce qu’il faut entendre par l’opposition omote-ura. Si l’on considère un homme debout, il y a un espace qui se trouve devant lui et un espace qui se trouve derrière lui. L’espace qui se trouve devant lui est omote, l’espace qui se trouve derrière lui est ura :

Maintenant il faut être très précis avec les mots:
Toutes les techniques qui peuvent être exécutées sur uke dans l’espace de son omote peuvent également être exécutées dans l’espace de son ura.

En revanche, il existe des mouvements qui, pour des raisons de nature technique, ne peuvent pas être exécutés devant uke, dans l’espace de son omote, et qui ne peuvent se développer que dans l’espace de son ura. Ces mouvements sont : kote gaeshi, kaiten nage, tenchi nage et irimi nage.

Attention, nous touchons ici un domaine difficile.

Chacun comprend que sans la lumière, l’obscurité serait un concept vide de sens, et que sans l’obscurité la lumière brillerait sans fin et sans que nous puissions jamais la reconnaître pour l’énergie qui perce les ténèbres. Il en va de même pour omote et ura qui n’ont de sens que l’un par rapport à l’autre.
Chaque chose sous le soleil possède un omote et un ura, et les techniques d’Aikido ne font pas exception à la règle.

Nous disons d’ailleurs habituellement qu’ikkyo a une version omote et une version ura, que nikyo a une version omote et une version ura, etc…fort bien… jusqu’à shiho nage comme nous l’avons vu. Mais nous sommes obligés de constater que les quatre techniques ci-dessus n’ont pas de version omote (pour irimi nage par exemple ou pour kaiten nage, on passe toujours dans le dos d’uke et jamais devant lui). Il serait donc faux de dire de ces quatre techniques qu’elles sont ura puisque ura n’a de sens que par rapport à omote et qu’omote dans ce cas n’existe pas.

Est-ce là une exception à la règle générale de l’Univers ?
Je ne crois pas, et je pense que dans un cas comme celui-là il est plus sage d’envisager que notre vision du monde puisse être en porte-à-faux de la réalité.

Le problème vient de la croyance que c’est la technique elle-même qui est qualifiée d’omote ou d’ura, selon qu’on l’exécute devant ou derrière uke.
Cette position est intenable, elle est démentie par kote gaeshi, kaiten nage, tenchi nage et irimi nage.

En vérité, la technique est la technique, un point c’est tout. La technique est égale à elle-même, toujours. Elle peut bien-sûr se développer dans l’omote d’uke ou dans son ura, mais cette circonstance n’attribue pas pour autant un caractère omote ou ura à la technique elle-même.

Comment dès lors concilier cela avec l’idée que chaque technique d’Aikido, en accord avec le modèle cosmique, possède pourtant nécessairement un omote et un ura ?

Ce sont les kajos une fois encore qui vont nous permettre de comprendre.
Nous avons en effet mis au jour et reconnu, au cours de notre étude, cinq couples de techniques opposées à 180°.
Si je considère nikyo par exemple, je mets cette technique en lumière et elle est omote, peu importe que je passe devant ou derrière uke pour l’exécuter. Elle est omote par le fait que je la mets en lumière et que je lui donne vie. L’ura de nikyo alors c’est kote gaeshi. Mais si je fais kote gaeshi, c’est kote gaeshi que je mets en lumière et qui devient pour cette raison omote. Nikyo est alors l’ura de kote gaeshi.
Chaque technique a une technique sœur, c’est l’enseignement des kajos, et cette technique sœur est son ura ou son omote selon le moment, et selon l’activité de l’observateur. En permanence, chaque chose se renverse dans son contraire, c’est cela la relation profonde qui unit le couple omote-ura dans l’Aikido comme dans l’univers.

Je sais que je bouscule sans trop d’égard, avec les informations que je livre chaque semaine, un demi-siècle d’enseignement approximatif de l’Aikido. Ma seule excuse est que l’Aikido est bien davantage que ce à quoi on l’a réduit. Je n’ai rien contre le sport, et je crois aux vertus de l’effort physique, mais l’Aikido n’est pas un jeu. Ou si c’est un jeu, déférence gardée envers Pierre de Coubertin, les règles n’en ont pas été posées par les hommes.

Philippe Voarino, juillet 2012.