Forum libre
Le forum du site TAI est un lieu d’échanges et de discussions techniques sur l’Aikido.
Depuis que je réalise les dossiers techniques, j’ai répondu à un grand nombre de questions très diverses émanant de pratiquants au niveau technique extrêmement varié. J’ai découvert qu’il n’y a pas de question inintéressante. Chacune d’entre elles apporte un point de vue original qui offre des éclairages différents sur des problèmes dont on croit trop vite avoir fait le tour. Parfois certaines questions permettent de véritables découvertes et ouvrent des horizons que l’on ne soupçonnait pas. Chacun participe ainsi à sa mesure à ce vaste travail de recherche qui a pour objet la compréhension de l’Aikido d’O Sensei.
Dans les dialogues qui nous rapprochent ou nous opposent, il faut toujours garder à l’esprit combien il est difficile de traduire avec des mots l’aspect technique d’un art aussi complexe que l’Aikido. Il peut arriver que l’on se trompe dans l’interprétation d’une question ou d’une réponse. Mais on finit par se comprendre, pourvu que chacun accepte de considérer l’idée proposée en inspectant et en respectant scrupuleusement l’argumentation qui l’accompagne. Tout va bien tant que chacun fait preuve de prudence et de bonne volonté dans l’interprétation de la pensée de l’autre. On peut évidemment être sensible ou pas aux arguments avancés, on peut les rejeter, mais il faut alors le faire au nom d’une argumentation qui soit elle-même acceptable.
Une chose en revanche est inacceptable sur le forum TAI, c’est que les arguments d’une personne ne soient pas pris en considération dans la réponse qui lui est adressée, et que lui soit opposé un discours d’autorité ne tenant aucun compte de tous les efforts mis en œuvre par cette personne pour exprimer son point de vue. Le discours d’autorité est la mort du dialogue, et le forum alors n’a plus de raison d’être. Peut-être la position que j’occupe m’autoriserait-elle parfois à recourir à ce moyen pour abréger certaines discussions redondantes, mais je me suis fait une règle de ne jamais tomber dans cette facilité par respect pour les questions qui me sont posées.
Ce soin que j’apporte à toujours argumenter mes démonstrations et à ne pas me retrancher derrière un dogmatisme facile, s’est retourné contre moi dernièrement et m’a transformé, de manière assez ironique, en victime de ce discours d’autorité que je réprouve et que je m’interdis d’utiliser.
Philippe, m’a-t-on écrit en conclusion d’un échange technique long et argumenté, l’évolution de votre enseignement n’est que la conséquence des limitations physiques qui s’installent avec l’âge, votre travail de recherche n’est en réalité que le résultat de l’incapacité de votre corps à produire autre chose désormais que les mouvements que vous proposez.
Ce point final irrévocable, qui tombait ainsi comme un couperet sous la forme d’un diagnostique médical catégorique, non content de faire vieillir mes abattis avant l’âge, supposait en outre que j’étais devenu myope à renverser les taupes, puisque ne m’était même plus reconnue la capacité de distinguer un mouvement correct d’un mouvement incorrect.
La science médico-sportive sur internet ne souffrant aucune contradiction, puisqu’elle est évidemment aussi définitive qu’elle est sommaire et mal informée, balayait ainsi, sans scrupules et en quelques lignes, l’expérience de 37 ans de pratique et d’enseignement, balayait Iwama et la transmission directe de maître Saito, balayait confiance, grades et diplômes par lui accordés, balayait les analyses détaillées des documents irréfutables d’O Sensei, balayait les centaines de dossiers techniques argumentés du site TAI, balayait les milliers de lecteurs fidèles qui s’y intéressent dans le monde, et balayait au passage toute la discussion sérieuse et argumentée qui avait précédé ce coup de sang médical. La pensée médico-sportive unique faisait le ménage. La science avait trouvé l’explication de l’évolution de Pévé, c’était simple … c’était l’arthrose. L’affaire est donc entendue, le verdict est tombé, il n’y a rien à ajouter. Merci Docteur.
Que doit faire le professeur d’Aikido passé 50 ans ? Doit-il, comme nos présidents de la république, publier son bulletin de santé ? Doit-il le mettre en musique et le chanter comme Sim ou Brassens ? Pour que ma vision de l’Aikido soit crédible, faut-il tomber jusqu’à dire que mes lombaires vont bien, que mes épaules sont encore raisonnablement souples, que mes coudes se sont bien remis des méchants shiho nage qu’ils ont reçus dans le passé. De peur d’être disqualifié à vie pour l’enseignement, dois-je passer sous silence qu’il m’arrive de me lever la nuit pour pisser quand d’aventure je prends une tisane le soir ? Pauvre maître Saito qui ne comprenait plus rien à l’Aikido dans les dernières années de sa vie puisque l’état de ses hanches et de ses genoux l’empêchait à cette époque de réaliser bon nombre de techniques.
Tout cela est dérisoire bien-sûr, et j’allais écrire que ce type d’argument est d’une grande indigence, mais ce serait faire encore trop d’honneur à ce genre de propos. Ce n’est tout simplement pas un argument. C’est le genre de peau de banane qu’on lance avec agacement quand précisément on ne trouve plus aucun argument qui convienne, et ça ne mérite pas réponse.
Si je réponds en revanche avec soin à chaque objection technique véritable, sans ménager ni mon temps ni mon travail, c’est que je considère ce travail comme le prolongement nécessaire de l’enseignement très difficile et très exigeant que je donne désormais sur le tatami. Cet enseignement s’appuie sur la méthode Saito pour montrer ce en quoi elle n’est qu’un outil, et ce pour quoi elle a été conçue : comprendre l’Aikido d’O Sensei, et le pratiquer.
Je comprends qu’il soit difficile de concilier cette démarche de recherche avec la pédagogie classique et nécessaire de l’enseignement du dojo et des normes fédérales. J’admets parfaitement toutes les incompréhensions sincères liées à cet exercice périlleux, j’y suis préparé et j’y répondrai autant qu’il est nécessaire, dans la mesure de mes possibilités. C’est mon travail. Mais une chose n’est pas justifiable, c’est que le problème fondamental qui est posé – en quoi la méthode peut-elle et doit-elle être dépassée – soit écarté, éludé par des explications sans aucun fondement technique.
Un commentaire gratuit et réducteur comme celui de l’explication médicale, revient à brandir le joker scientifique à mauvais escient, à seule fin d’éviter – parce qu’il gêne – le problème de fond, et c’est une malhonnêteté intellectuelle. Un tel commentaire est aussi fort suspect dans la mesure où il traduit un attachement à des certitudes qui sortent leurs griffes lorsqu’elles sont mises dos au mur, démontrant ainsi qu’elles ne tolèrent pas d’être remises en question. Peut-être même faut-il voir là l’expression d’un conservatisme qui ne veut pas dire son nom, et qui défend en réalité une position sociale.
Le forum TAI est un lieu de liberté, il n’y a pas de modérateur, il n’y a pas de censure, et par les temps qui courent, ce n’est pas si fréquent, et doit être apprécié comme il convient. La tenue et la qualité de ce forum dépendent entièrement de ceux qui l’utilisent. Mais la liberté n’est pas l’anarchie, elle exige des hommes responsables et des esprits justes. L’ordre et la véritable modération apparaissent alors naturellement comme le résultat de la conscience de chaque utilisateur. Il n’y a pas de place en ce lieu pour une attitude qui ne soit pas dictée par la sincérité, le respect des arguments de l’autre, et la recherche de l’intérêt général.
Philippe Voarino, mars 2014