Cet article a été publié dans le magazine Aikido Journal N°1 de février 2002. http://fr.aikidojournal.net/.
L'État français n'a pas compétence dans le domaine spécifique de chaque sport. C'est pourquoi il délègue ses pouvoirs à des fédérations sportives dirigeantes. Cette habilitation n'est accordée, pour une discipline, qu'à une seule fédération.
Les responsables des soeurs ennemies de l'Aikido français - Fédération Française d'Aikido et de Budo (FFAB) et Fédération Fançaise d'Aikido, Aikibudo et Affinitaires (FFAAA) - savent donc qu'une grande fédération unfiée de l'Aikido français reste pour le Ministère de la Jeunesse et des Sports la condition d'une authentique délégation de pouvoir. Voilà pourquoi ils avancent bon gré mal gré depuis vingt ans sur la voie de l'union.
Dans cet esprit, le Comité Directeur de la FFAB a réuni ses cadres au cours de l'hiver 2001 pour débattre de l'harmonisation technique de l'enseignement de l'Aikido en vue de la fusion avec la FFAAA.
La discussion portait sur la nécessité de mettre en place une méthode d'organisation scientifique de l'enseignement, une sorte de modèle pédagogique susceptible de générer un corps enseignant homogène grâce à des professeurs issus d'un moule commun.
Un membre fondateur de la FFAB, trouvant ces considérations technocratiques bien éloignées des valeurs de l'Aïkido, murmura à l'oreille de maître Tamura assis à ses côté : «Et l'Aikido Sensei, que devient-il dans tout cela ?»
La réponse de maître Tamura fuse, implacable, accompagnée d'un éclair du regard : «C'est votre pays, non !»
Parlons donc un peu de notre pays. La France, qui est la fille ainée de l'Eglise, est également la fille aînée de l'Aïkido. C'est en France que s 'est installé le premier professeur d'Aïkido qui enseigna en dehors du Japon : Tadashi Abe. Il étudia l'Aikido à Iwama entre 1942 et 1952, auprès du fondateur 0 Sensei Morihei Ueshiba.
De 1952 à 1960 à partir de la France où il vivait, Tadashi Abe posa les bases de l'Aikido Européen à une époque ou personne n'avait encore entendu parler d'Aikido.
En 1960, estimant que se mission de pionnier était terminée, il rentre au Japon. Mais pendant sa longue absence, l'Aikikai avait changé, les élèves de Tokyo s'étaient écartés de la ligne tracée par le Fondateur, et leur Aïkido n'avait plus rien de commun avec l'art appris d'O Sensei par maître Abe.
Alors, devant les dirigeants de la fondation Aikikai réunis pour lui décerner son 7ème dan, il prononça la déclaration suivante aussi inattendue que solennelle :
Je refuse ce grade. Je reçois mes dan du fondateur et non d'une Fondation. L'Aïkido que j'ai appris avec 0 Sensei était un budo. Depuis mon retour au Japon, je m'aperçois que ce que l'on enseigne ici aujourd'hui n'a plus rien à voir avec cet art martial. Je n'ai plus rien à voir avec vous. Je vous rends mon menjo, certificat de mes grades.
Tadashi Abe n'était pas un homme banal. Sa famille était proche de la Cour Impériale. Il fut Kamikaze dans la marine japonaise, pilota un sous-marin torpille ovec mission de se jeter sur les navires américains, et ne dut son salut qu'à la fin de la guerre. Son autorité morale et technique n'était contestée par personne, et il était respecté pour ses engagements, son courage, et la très haute idée qu'il avait de l'Aïkido.
Alors, quand un personnage aussi important dans la hiérarchie de l'Aikikai décide de rendre ses grades, il faut absolument réfléchir ou sens de l'évènemment et ne pas le réduire à une simple anecdote. Car les codes du comportement dans la société japonaise de l'après guerre sont encore très forts. Renier se propre maison, sa propre famille, est un acte d'une extrême gravité qu'un membre de l'aristocratie japonaise n'accomplirait jamais sans motif très sérieux.
En désavouant l'Aikikai, Tadashi Abe voulut faire passer un message. Ce message, il importe que nous sachions le lire: l'Aikikaï des années soixante n'était déjà plus - ni techniquement, ni spirituellement - au coeur de l'Aikido. Comment dans ce cas, alors même que sa décadence était amorcée, l'Aïkikaï put-il jouer jusqu'à présent un rôle politique majeur dans l'Aïkido mondial ? La réponse tient en partie dans l'habileté de la diplomatie japonaise, en partie dans la naïveté française. Il se trouve en effet que la France fut un terrain d'excellence pour l'exercice de cette diplomatie.
D'abord parce que c'est le pays au monde qui compte le plus de pratiquants d'Aïkido, devant le Japon lui-même. Ensuite et surtout, parce que la très forte tradition associative de la France lui conféra un rôle primordial dans la mise en place de l'Aikido mondial.
la Fédération Européenne d'Aikido
Chaque pays développe bien sûr ses organisations nationales, mais c'est l'esprit français qui est à l'origine de toutes les organisations internationales d'Aïkido. C'est à partir de le France que ces dernières furent conçues et mises en oeuvre.
A Nice en 1960 fut créée l'Association Culturelle Européenne d'Aïkido (ACEA). Son premier Président, René Robinet, était un Antibois. Cette toute première association internationale témoigne de la conception profondément européenne du développement de l'Aïkido qui animait, trente cinq ans avant les accords de Maastricht, les pratiquants d'Europe.
Les Belges de l'ACBA, les Suisses de l'ACSA, les Luxembourgeois de l'ACLA, les Marocains de l'ACMA constituèrent ainsi, avec les Français de l'ACFA, la première véritable organisation internationale d'Aïkido.
l'Aikikai donna sa reconnaissance à l'ACEA par un acte du 5 octobre 1962, la confirmant officiellement dans sa position d'unique organisation centrale responsable du développement de l'Aikido en Europe le 23 août 1973, l'Aïkikaï ratifia cette reconnaissance exclusive par la signature d'une Convention rédigée en Japonais et en Français, déposée à l'Ambassade du Japon à Paris le 14 septembre 1973 sous la forme d'un acte officiel authentifié, certifié conforme et enregistré. Le 23 mars 1977, aux termes d'une modification publiée au Journal Officiel de la République Française, l'ACEA changea de nom et devint la Fédération Européenne d'Aikido (FEA).
Ces années occupées à mettre en place et à développer l'Aikido ou sein de l'ACEA ou en liaison avec elle, tissèrent des liens d'amitié entre plusieurs dirigeants européens. Cett amitié fut concrétisée par la fondation à Madrid de la Fédération Internationale d'Aikido (FIA) le 02 novembre 1975.
La FIA doit donc être regardée comme le prolongement naturel de l'ACEA. Et il existe une bonne indication de cette filiation, c'est que son premier Président, comme pour l'ACEA, fut un Français : Guy Bonnefond.
Dans ce contexte de la prééminence française sur la place internationale, un événement symbolique eut une grande conséquence : le troisième Congrès de la FIA se déroula à Paris en septembre 1980. Les professeurs et pratiquants européens qui y participérent démontrèrent la qualité de leur travail et l'efficacité de leur organisation.
Ceci acheva de convaincre le Doshu et la délégation japonaise que l'Aikikai était véritablement en train de perdre pied sur le plan international.
Aikido international
Dans son livre «L'Esprit de l'Aikido» paru en 1984, Kisshomaru Ueshiba, Gardien de le Voie, autorité suprême de l'Aikikai, cite en effet in extenso un article paru dans le journal japonais, Nihon Keizai Shimbun du 30 septembre 1980. Le journaliste s'y félicite du succès de ce 3ème congrès de la FIA à Paris car dit-il, c'est la démonstrahon que le budo japonais est devenu très populaire.
Mais ce Journaliste particulièrement perspicace selon les propres termes du Doshu, termine son article avec l'avertissement suivant :
Néanmoins, les Japonais doivent se rappeler que de grande montée, grande chute.
Kisshomaru Ueshiba fut visiblement frappé par cet article qu'il commente longuement comme si les propos du journaliste faisaient écho à ses propres préacupations. Et il écrit :
Je me sens concerné par l'évolution des arts martiaux traditionnels japonais en Occident (...) Bientôt, le centre de l'art se transporte dans les pays qui forment des compétiteurs physiquement forts et techniquement brillants, Je ne pense pas que cela soit la contre patrie inévitable de l'internationalisation.
Pour qui sait lire, il n'est pas douteux que l'Aïkikai ait éprouvé au début des années 80 le sentiment d'être dépossédé du contrôle de l'Aikido international.
Et s'il fallait une confirmation, on la trouverait dans cette révélation sans équivoque de maître Yamada, représentant officiel de l'Aikikai en Amérique. En 1982, à Paris, à la question du magazine français Bushido :
Pensez-vous que l'Aikikai a peur du poids de l'Aïkido à l'étranger ?
Yamada senseï répondit clairement :
Je crois en effet que l'Aïkikaï a dans une certaine mesure peur du poids de l'Aïkido à l'étranger.
La clairvoyancee de l'Aikikai fut de comprendre que sa décadence politique sur le plan international était due à la montée en puissance d'un Aikido français d'autant plus influent qu'il était désormais unifié sur le plan national.
En octobre 1973, les représentants des trois principaux groupes français d'Aikido (Tamura pour l'ACFA, Nocquet pour le CAT et Mochizuki pour le Yoseikan), signent en effet un accord concernant une méthode commune pour l'enseignement de l'Aikido en France : la Méthode Nationale.
Cette convergence des différents courants aboutit en 1977 à le création de l'Union Nationale d'Aïkido (UNA). A la fin des années 70, l'Aikido français est donc légalement unifié.
L'UNA demeure cependant membre de la Fédération Française de Judo et Disciplines Associves (FFJDA) qui a servi de cadre au développement de l'Aïkido depuis son arrivée en France.
Division de l'Aïkido français
En 1981... l'année suivant le 3ème Congrès de la FIA à Paris maître Tamura, qui est devenu entre temps le chef de file de l'UNA, invoque la tutelle trop pesante du Judo et demande aux Présidents de Régions : «Si je quitte la FFJDA, me suivrez-vous?»
L'enthousiasme est unanime et la décision prise. La Fédération Française Libre d'Aikido et de Budo (FFLAB) est fondée. L'Aikido devient indépendant.
Mais brutalement, alors que rien ne le laissait prévoir, la moitié à peu près des clubs d'Aikido fait marche arrière dans un élan de fidélité envers la FFJDA.
Loyalisme éphémère, car ces clubs fidèles quittent quelques mois plus tard et sans plus d'état d'âme la FFJDA pour fonder la Fédération Française d'Aïkido, Aikibudo et Affinitaires (FFAAA).
En 1982, le schisme est donc irrémédiable. La division de l'Aïkido français est olliciellement instaurée.
L'Aïkikai adopte alors une attitude étrange à première vue. Maître Tamura est une figure de l'Aikido mondial, une autorité reconnue dans tous les pays, et surtout un membre éminent du Shihankai, l'association très fermée et très influente des maîtres de l'Aikikaï. On s'attend donc en toute logique à ce que la FFLAB dont il est Conseiller Technique National, reçoive la reconnaissance officielle de l'Aikikaï.
C'est le contraire qui se produit : l'Aïkikaï refuse de reconnaître la FFLAB et désigne officiellement la FFAAA comme son unique interlocuteur sur le sol français.
A la vérité, le paradoxe n'est qu'apparent. Dans la règle diplomatique qui consiste à «diviser pour régner», diviser ne suffit pas bien sur. Il faut également équilibrer les forces des protagonistes. C'est la condition nécessaire pour que leurs actions se neutralisent mutuellement.
A l'évidence, aux yeux d'un Japonais, la FFLAB guidée par maître Tamura était assez forte pour survivre en dehors de la FFJDA. La partie en revanche n'était pas gagnée pour la FFAAA qui ne possédait pas dans ses rangs de personnage aussi charismatique.
L'Aikikai apporte donc logiquement son soutien à la FFAAA qui était la plus fragile des deux fédérations... le temps nécessaire à ce qu'elle assure ses racines dans le sol français.
Un exemple de ce soutien fut l'abolition du monopole de maître Tamura concemant la délivrance sur le sol français des grades Aikikai. Christian Tissier obtint le même privilège pour la FFAAA. Toute différence de prestige entre les fédérations était ainsi supprimée. Leurs prérogatives comme leurs chances respectives étaient désormais équilibrées.
Si calcul il y eut, il s'avéra pertinent. Car le mal français s'étendit dès lors rapidement au plan mondial. La division et la mésentente de l'Aïkido français contamina les organisations internationales.
Au tout début des années 80, lors du Congrès de Zurich, la division de la représentation française aboutit à une scission du Comité Directeur de la Fédération Européenne d'Aïkido, le groupe FFAB soutenant la présidence de M. André Gonze, le groupe FFAAA soutenant celle de M. Giorgio Veneri. Tant et si bien que la FEA possède désormais deux têtes et que l'on dit « les deux FEA » comme s'il existait deux fédérations européennes.
Le poids de la FEA dans le monde de l'Aïkido a de la sorte été réduit à peu de chose. Plus rien en tous cas qui puisse gêner l'Aïkikaï.
Dans le même temps - coïncidence magnifique pour les intérêts de l'Aikikaï - le même Giorgio Veneri, toujours soutenu par la FFAAA, prit également la présidence de la Fédération Internationale d'Aïkido. C'est curieusement à cette époque que la trésorerie de la FIA fusionna avec celle de l'Aïkikaï et que le Japon devint le pays de prédilection pour l'organisation des Congrès de la FIA.
Le résultat de ce « rapprochement » est une confusion aujourd'hui si avancée entre les intérêts de la FIA et de l'Aïkikaï que plus personne ne fait de différence entre les deux organisations. La FIA est devenue de facto le visage du Hombu Dojo à l'étranger, la personnalité morale internationale de l'Aïkikaï. Et les responsables de le FFAAA enfoncent le clou en déclarant sans rire que la FIA
... a été fondée par l'Aïkikaï Hombu Dojo - Christian Tissier, Aikido Today Magazine, n°43.
Grâce à la déstabilisation et à l'affaiblissement de l'Aikido français, l'Aikikai est donc parvenu à reprendre le contrôle de l'Aïkido mondial. Un tel succès diplomatique aurait-il été possible sans le concours actif de ses représentants en France ?
Lisons les propos du même Christian Tissier dans le numéro 26 du magazine «Arts et Combats» :
Je suis pour ma fédération (FFAAA) le représentant de l'Aikikai en France au même titre que Tamura senseï en est le représentant pour sa fédération (FFAB).
Tout représentant, tout ambassadeur défend les intérêts de qui lui donne mission. Et il faut bien dire que la volonté soudaine de maître Tamura de quitter la FFJDA en 1981 créa un événement particulièrement propice à une division de l'Aïkido français, à un moment particuliérement souhaitable pour les intérêts de l'Aïkikaï.
Certes les futurs cadres de la future FFAAA ne voyaient peut-être pas d'un mauvais oeil l'occasion qui leur était ainsi offerte de s'émanciper et de quitter l'ombre de maître Tamura. Et leur brutale volte face, alors qu'ils s'étaient pourtant engagés à quitter la FFJDA avec maître Tamura, ne fut peut-être pas étrangère à ces considérations.
Mais si d'aventure l'Aïkikai avait assuré de manière officieuse la FFAAA de son soutien futur, au détriment de la FFLAB, la fronde des cadres en question n'aurait-elle pas été grandement encouragée et facilitée ?
Faut-il alors avec Maxime Delhamme, actuel Président de la FFAAA, exprimer notre «affectueuse fidélité à l'Aïkikaï» (Akido Magazine novembre 2001) ?
Il faut surtout dire que le scénario précédent n'aurait pas mieux fonctionné, s'il avait été conçu, organisé et mis en oeuvre avec la collaboration solidaire des deux représentants de l'Aïkikaï en France, sous l'impulsion de l'Aïkikaï lui-même.
Un pont entre l'Orient et l'Occident
Quoi qu'il en soit, il est certain que l'Aïkikaï adopta très tôt à l'égard de la France une attitude de défiance. L'origine de ce sentiment remonte sans doute à le création de l'ACEA.
Le Japon ne pouvait en effet que se méfier de ce qu'il ne connaissait pas et ne maîtrisait pas. Et cette structure associative démocratique sans but lucratif était bien sûr totalement étrangère au système japonais fondé sur l'organisation hiérarchique et le profit. En vérité, l'objet, l'organisation et le fonctionnement de l'ACEA devaient être une véritable énigme pour l'esprit japonais quand l'Aikikaï reconnut cette organisation en 1962.
Sans doute ne faut-il voir qu'une coincidence dans l'arrivée en France en 1963 de maître Tamura puisqu'il était en voyage de noces. Mais tous de même chargé à cette occasion par l'Aikikai d'une mission bien précise et de circonstance : étudier le mode de fonctionnement des organisations d'Aikido en Europe et en informer le Japon.
Sans doute également ne faut-il voir qu'une énorme maladresse de la FFAB dans le choix d'un petit village reculé et difficilement accessible de Provence pour l'implantation de l'Ecole Nationale d'Aikido (ENA).
Il est bien certain qu'en ce lieu l'ENA n'aura jamais la destinée qui aurait pu être la sienne en tout endroit plus stratégique du sol français. Les dirigeants de l'Aikikaï peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles, ce n'est pas l'ENA qui risque de catalyser les énergies nécessaires à la réunion de l'Aïkido français qui les gênerait tant.
Mais c'est une vraie chance pour maître Tamura que ce petit village ne soit qu'à quelques kilomètres de son domicile.
Vous avez raison, maître Tamura, c'est notre pays. Pour dire cela, vous estimez sans doute que ce n'est pas le vôtre. Ce pays est parfois bien aveugle. Et si toute l'histoire s'était déroulée ainsi, notre Ministère de la Jeunesse et des Sports suerait sang et eau depuis vingt ans à tenter de reconstruire ce qui a été défait sciemment par un calcul politique et une action diplomatique menés de l'étranger avec le concours de responsables nationaux.
Mais ce qui est plus grave, c'est que par un tel procédé, le destin de l'Aikido mondial aurait été placé dans les mains de ceux qui aujourd'hui sont peut-être les moins qualifiés pour mener à bien les idéaux élevés du Takemusu Aïki d'O Sensei.
Il m'est désormais impossible hélas de m'adresser au Doshu Kisshomaru Ueshiba, votre professeur aujourd'hui décédé. Mais comme vous, Tamura sensei, êtes sans nul doute l'un de ses meilleurs et plus fidèles élèves, recevez s'il vous plait en son nom le discours suivant.
Il est vrai que l'Aïkido est un art qui vit le jour dans le cadre de la culture japonaise. Mais les valeurs traditionnelles que porte l'Aïkido sont bien loin d'être exclusivement japonaises. Elles vivent depuis toujours dans l'âme des peuples d'Europe. Elles y sont endormies, certes, mais elles n'y sont pas mortes. Voilà sans doute ce qu'avait senti Tadashi Abe quand il déclara dans un silence de mort au premier Congrès officiel de la FIA à Tokyo en 1976 que ce n'était plus désormais au Japon mais en Europe qu'il fallait chercher l'Aikido.
Que l'Aïkido ranime cette connaissance traditionnelle enfouie dans le coeur des européens, n'est-ce pas là au fond le souhait d'O Senseï et la raison de ce pont qu'il voulait établir entre l'Orient et l'Occident ? Croyez-vous sincèrement que l'Aikikaï, embarrassé dans ses problèmes de légitimité, soit en mesure de mener à bien cette tâche immense ?
Qui plus est, croyez-vous seulement que l'Akikaï désire véritablement réaliser la volonté d'O Senseï ?
Aujourd'hui, la balle a changé de camp. Si les Occidentaux veulent bien le comprendre, s'ils veulent bien arrêter de se déconsidérer par leur attitude obséquieuse et idolâtre qui les pousse comme des enfants à se ranger sous la tutelle du grand frère japonais, alors ils construiront sur leur sol un Aïkido authentique - avec gratitude et respect pour ce qu'ils ont reçu du Japon, et dans une collaboration bien comprise avec lui - mais dans la liberté et la responsabilité.
Ils en sont capables, et c'est la mission qu'ils ont reçue. Puissent ils se montrer dignes d'un tel relais.
Philippe Voarino, février 2002