Brussels ou Bruxelles ?

Peu importe, j’aime les deux du même amour.

J’ai vécu dans cette ville et j’y ai des souvenirs, forgés au fil des années avec des élèves qui sont devenus des camarades puis des amis. Amis de tous les coins de Belgique, des Flandres aux confins de la Wallonie, et aussi de la Hollande voisine, partout où coule la bière du Platteland.

Il y a longtemps que je n’ai plus foulé le vieux tatami suspendu de l’ULB, alors je serai heureux de reprendre contact avec cette figure du patrimoine bruxellois les 22 et 23 mars prochains.

La vie est changement, je ne suis plus la même personne qui enseignait autrefois à Solbosch. Il y a trente ans je mettais beaucoup de cœur à transmettre une connaissance dont j’ignorais tout en réalité. La case jeunesse est nécessaire, elle est séduisante, elle a son public qui applaudit, ses followers, mais la réalité est qu’il faut du temps à un enseignant pour parvenir à la maturité et à la maîtrise de son art.

Ce qui m’occupe désormais n’a plus rien de commun avec les intérêts et les certitudes du jeune professeur que j’étais, dont l’image s’efface de ma mémoire. Ce qui m’occupe est très loin des formes nécessaires ou absurdes, sous lesquelles l’Aikido est aujourd’hui connu - travesti devrais-je dire. Car l’Aikido ne se trouve pas dans les méthodes d’enseignement superflues, qui sont autant de fausses pistes, et il ne se trouve pas davantage dans les méthodes d’enseignements légitimes, pourtant nécessaires à le découvrir. L’Aikido est au-delà, il est secret comme une femme qui veut être conquise, et qui ne se livre ni au prétendant qui ne prend pas de risques, ni à celui qui est trop pressé. La conquête exige la foi, et de l'inconscience peut-être, il faut ouvrir son cœur, sans crainte, il faut la constance aussi, et attendre le moment juste.

J’ai attendu longtemps, tout le temps qui fut nécessaire à secouer mon manteau des sentiments et des connaissances parasites. Ce travail salutaire, je l’ai fait seul, et ce que j’ai reçu ne m’a pas été donné, je ne l’ai pas volé non plus, je l’ai trouvé. Ce que j’enseigne désormais n’a rien de commun avec ce qui est généralement enseigné sous le nom d’Aikido, que ce soit à l’Aikikai de Tokyo ou au fond du village d’Iwama, qui sont hélas comme Charybde et Scylla. Ce que j’enseigne maintenant, grâce à ceux qui furent mes maîtres - Morihiro Saito, Pierre Chassang et Persévérance - c’est l’Aikido de Ueshiba, et ce n’est rien d’autre que cela.

Il n’est pas besoin de dire en quelle estime je tiens les fédérations sportives n’est-ce pas ? Mais s’il y a des pratiquants qu’intéresse encore l’Aikido de Morihei Ueshiba, à mille lieues de l’honorable héritage du Daito Ryu, comme du délire de l’Aikido moderne (la perte pathologique du sens de la réalité), ils sont les bienvenus sur le tatami où j’enseigne. Quelle que soit leur affiliation elle n’est pas un obstacle.

Enfin, ce serait un bonheur de retrouver à cette occasion tous ceux que les années ou les circonstances ont éloignés de moi. La vie nous transforme, mais les liens qui furent noués une seule fois ne sont pas défaits par le temps, parce que l’énergie tisse, ne rompt pas.

Philippe Voarino

Antibes, 23 janvier 2025