JUSAN NO JO : destruction de preuve
L’article 434-4 du Code Pénal punit de trois ans d’emprisonnement la destruction ou l’altération des indices et des preuves de nature à faire obstacle à la manifestation de la vérité.
Il semble bien que ce texte ne soit pas applicable dans le domaine de l’Aikido où la règle est celle de l’impunité totale. Chaque professeur y va de sa petite modification, et il y a tant de professeurs aujourd’hui qu’il reste désormais de l’Aikido à peu près autant qu’il reste d’un bœuf tombé au milieu des piranhas.
La frappe sur le jo au début de Jusan no jo est un bon exemple de la facilité qui consiste à éliminer ou à modifier ce qui pose problème. Il est vrai que cette frappe difficile et contre-intuitive apparaît tout à fait incongrue dans le contexte où elle est présentée par la méthode. Qui plus est, ce temps de frappe n’est pas comptabilisé dans les 13 temps du Jusan no kata. Dès lors, quoi de plus tentant que de gommer cet élément aussi gênant que superfétatoire ?
C’est la tendance aujourd’hui dans les écoles qui se revendiquent de Takemusu : la frappe sur le jo, au temps 3 bis, n’est plus enseignée, et dans quelques décennies on ne saura pas davantage que maître Saito enseignait cela qu’on ne sait à quoi servent les alignements de menhirs.
Mais quoi, est-il si difficile d’admettre que ne pas comprendre n’autorise pas pour autant à modifier ou à supprimer ce qu’on ne comprend pas ? Encore faut-il évidemment accepter l’idée que l’on n’a pas compris. Ce qui manque le plus aux pratiquants modernes, ce n’est pas l’habileté, ce sont la foi et l’humilité. La foi dans les maîtres qui les ont précédés, et l’humilité devant la perfection supra humaine de l’art. O Sensei exprimait ceci en disant qu’il faut absolument faire confiance aux kami. La croissance pathologique de l’ego dans la société moderne ne mène pas seulement à la manie du selfie, elle conduit aussi à réinventer l’Aikido. Et l’on déguise cette pathologie sous le joli nom d’évolution.
Les éléments les plus incompréhensibles de la méthode ont leur raison d’être d’un point de vue supérieur. Il faut se garder d’en retrancher ou d’en modifier quoi que ce soit. Il n’est pas moins dangereux d’y ajouter des éléments et des explications sans pertinence.
Philippe Voarino, juin 2018.