Quand on travaille dans le cadre de la méthode, on s’occupe – et c’est normal – de respecter tous les points qui vont permettre d’exécuter au mieux la technique sur uke : le maai, les angles, le déséquilibre, etc. Pour que l’action d’Aikido soit parfaite, chaque élément constitutif de cette technique doit être présent. C’est l’objet de l’apprentissage que de répéter et polir les conditions techniques du mouvement juste.
Mais il ne vient pas à l’esprit de celui qui est immergé dans cette recherche avec son partenaire d’étude, qu’il puisse exister un autre point de vue sur les éléments techniques qu’il s’efforce de respecter. Il est tellement pris dans le jeu de la relation à son uke de travail, que chacun des éléments techniques essentiels n’est justifié à chaque fois que par rapport à cet uke là seulement. Il n’imagine pas que ces mêmes éléments techniques puissent avoir une justification dans une autre sphère de l’espace-temps (du maai pour parler japonais). Cette deuxième sphère de l’espace-temps est celle qui apparaît quand il y a plusieurs adversaires, et non plus un seul.
Or il se trouve que les exigences techniques ne diffèrent pas, que l’on se trouve dans une sphère ou dans l’autre – tout est parfaitement identique, quelle que soit la technique et quelle que soit l’attaque – et je demande qu’on réfléchisse au caractère extraordinaire de cette « coïncidence ».
Autrement dit, un même point technique fondamental est justifié aussi bien par le contexte créé dans la sphère de l’uke unique, que dans celui (pourtant bien plus complexe) créé dans la sphère des uke multiples. Si on accepte de prendre une image dans la biologie, on peut dire que l’ADN d’une technique est une donnée constante, elle se retrouve dans le tout comme dans chacune de ses parties. L’univers est un, il est présent tout entier dans la plus infime de ses parties, comme il est dans le tout.
Pour parler concret avec un exemple, on voit clairement sur la vidéo que l’angle et le déplacement nécessaires à déséquilibrer uke au départ du mouvement sont les mêmes que ceux qui permettent de projeter cet uke vers l’adversaire de gauche, et que l’angle et le déplacement nécessaires à déséquilibrer uke au moment où l’on entre sous son bras, sont les mêmes que ceux qui permettent d’éviter l’adversaire venant de la droite et d’utiliser uke contre lui. Ce qui est juste par rapport à un adversaire est juste aussi et fonctionne de la même manière par rapport aux autres adversaires, dans le même temps.
Cette loi de l’Aikido est une loi de l’univers, et la conséquence pratique de cette loi c’est qu’il est facile de vérifier si ce que l’on pratique est bien de l’Aikido : si un mouvement semble fonctionner avec un uke, mais qu’il devient irréalisable dans le cas d’une attaque de groupe, et bien ce n’est pas de l’Aikido. Ce critère est sans appel.
Philippe Voarino, octobre 2016.