Du 25 au 31 août 2014, j’aurai le plaisir de me rendre une seconde fois en Géorgie, à Tbilissi, à l’invitation de la représentation ITAF Georgia.

Je suis très heureux à l’idée de me retrouver à nouveau auprès de mes amis géorgiens. C’est grâce à eux et au travail de traduction entièrement bénévole qu’ils ont entrepris, que le site TAI est désormais traduit en géorgien (plus de 300 articles), et que les versions italienne et turque ont pu voir le jour.

Mais leur effort récent le plus notable revient incontestablement aux traducteurs de la version russe du site.

Et je voudrais, à travers eux, saluer la Géorgie pour cette main ainsi tendue à ses voisins de l’autre côté du Caucase, par-delà les frontières souvent douloureuses de l’histoire.

Grâce à eux, je peux donc aujourd’hui m’adresser spécialement aux lecteurs russes, et, parmi ces derniers, plus particulièrement encore à ceux qui suivent l’enseignement de maître Saito, pour leur dire ce qui suit.

Je suis un élève de Morihiro Saito. J’ai vécu longtemps à Iwama. J’ai reçu de lui les cinq mokuroku d’armes il y a 25 ans déjà, et le 6ème dan il y a quinze ans. Maître Saito m’a accordé sa confiance jusqu’à sa mort.

Je connais parfaitement la méthode que j’ai apprise à Iwama, et je l’ai enseignée pendant vingt cinq ans, sans la modifier. Aujourd’hui encore, je continue à utiliser cette méthode, et j’ai longuement expliqué dans l’article « Passage » pourquoi elle était nécessaire, pourquoi il fallait la préserver, et n’y rien changer.

Si j’écris cela, c’est que le discours que je tiens depuis quelques années pourrait laisser penser que je me suis écarté de la méthode, et que l’enseignement que je propose désormais n’a plus de rapport avec celui de maître Saito. Rien n’est plus éloigné de la vérité, et ce serait un malentendu que de croire cela.

L’idée de maître Saito, qu’il a plus d’une fois exprimée, était que son enseignement avait la valeur d’une introduction et d’une préparation à l’Aikido, la meilleure préparation disait-il souvent. Mais il a aussi très souvent répété que ce travail, aussi nécessaire soit-il, n’était pas encore l’Aikido, que c’était seulement un moyen de parvenir à l’Aikido du Fondateur, un outil dans les mains de l’étudiant.

Malgré cet avertissement, nombreux sont ceux, parmi ses élèves, qui imaginent qu’il suffit de répéter au mieux la méthode pour que l’Aikido apparaisse un jour naturellement, plus ou moins spontanément. Ils se trompent.

On peut évidemment répéter la méthode de mieux en mieux, c’est une excellente chose, c’est comme un pianiste qui répète ses gammes. Mais la raison des gammes, c’est de pouvoir jouer un jour. Le meilleur des outils est inutile s’il ne sert pas à l’usage pour lequel il a été conçu.

Que l’on veuille bien réfléchir à ceci : la pratique de Morihei Ueshiba se situe à des années lumière des élèves les plus avancés de Morihiro Saito. Pourquoi une telle différence alors même que la méthode de maître Saito est pourtant, de très loin, le moyen le plus efficace de s’approcher de l’Aikido d’O Sensei ?

Il est vrai que le fondateur de l’Aikido était un homme hors du commun, mais cela n’explique pas tout. Il y a une autre raison, et elle s’énonce ainsi : il existe, tout au bout de la méthode, là où elle s’arrête, un chemin, et ce chemin doit être parcouru. Le rôle de la méthode Saito est de nous amener jusqu’à l’endroit où ce chemin commence. Elle ne peut pas aller plus loin, elle touche, à ce point, la limite de son champ d’action. Ce qui se trouve au-delà n’est plus son domaine. La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a.

Ce chemin apparaît dans les environs du 4ème dan, quand le travail du débutant a porté ses fruits et que la méthode est enfin connue. Ce chemin est caché. Peu nombreux sont ceux qui ont découvert son existence. Et c’est pourquoi, quel que soit le talent, le travail, et la volonté des uns et des autres, encore moins nombreux sont ceux qui ont mis véritablement leurs pas dans les pas de Morihei Ueshiba.

Ce que je propose n’est pas d’abandonner la méthode créée par Morihiro Saito, ce que je propose c’est de l’employer dans le but pour lequel ce dernier l’a mise au point : pour entreprendre, quand le moment est venu, l’exploration de l’univers de maître Ueshiba. Il ne s’agit donc pas de mettre la méthode au placard, il s’agit de s’appuyer sur elle pour découvrir, grâce à elle, ce qui doit être découvert, mais qui se trouve plus loin qu’elle ne peut atteindre seule.

Emprunter ce chemin, ce n’est pas du tout faire offense à maître Saito, c’est l’opposé, c’est respecter sa volonté, c’est l’honorer de la manière la plus convenable : celle qui donne sens au travail de sa vie. Et c’est au contraire perdre de vue l’objectif qu’avait maître Saito en créant sa méthode, que de répéter celle-ci en boucle, sans qu’elle ne conduise jamais à l’Aikido d’O Sensei.

J’invite donc ici les pratiquants russes à venir librement me rencontrer au stage de Tbilissi. La parole que j’essaie de faire entendre est difficile, elle demande un effort pour être comprise, le corps seul ne suffit pas, il faut aussi une qualité de l’esprit, et plus encore une qualité de l’âme. Cette qualité, je crois qu’elle est présente au fond de l’âme slave.

Philippe Voarino, 18 juin 2014