Nous avons vu dans « Aiki ken #8 » l’étrange différence entre l’irimi d’O Sensei et celui de Morihiro Saito en réponse à la même attaque shomen uchikomi du sabre.
Cette différence est marquée par une position très particulière des pieds d’O Sensei : le pied arrière ne bouge absolument pas, il reste dans la ligne d’attaque du sabre, le corps quitte donc cette ligne d’attaque grâce au déplacement exclusif du pied avant qui est ici caché par le hakama :
Je peux témoigner, et avec moi tous les élèves d’Iwama, que la position de maître Saito est ici fidèle à ce qu’il a toujours enseigné. Mais je ne peux pas en faire autant pour O Sensei, et la première question qui se pose donc, c’est évidemment de savoir si le déplacement du Fondateur sur cette photo n’est qu’un accident, un détail fortuit, une particularité impossible à généraliser et qui n’a donc pas de portée, ou bien si c’est au contraire un élément récurrent de ses déplacements, auquel cas il faudrait évidemment accorder notre plus grande attention à cette « différence » qui caractérise l’irimi d’O Sensei.
Les deux photos suivante d’O Sensei sur la même technique sont de moins bonne qualité, mais elle ont l’immense avantage de nous permettre de voir clairement le positionnement de ce pied avant :
On vérifie d’abord que le pied arrière ne bouge absolument pas, qu’il reste comme sur la première photo dans la ligne de coupe du sabre. Et on voit bien désormais le travail du pied avant : il a glissé avec le corps sur le côté droit, pointe du pied tournée vers uchitachi, transformant par ce simple mouvement le migi hanmi d’O Sensei sur la ligne d’attaque en un hidari hanmi sur le côté de cette même ligne. Il n’est pas possible de faire un déplacement plus économe pour quitter l’axe de l’attaque d’uchitachi tout en pénétrant dans sa garde.
La quatrième photo ci-dessous d’O Sensei pour la même technique est en tous points identique aux trois précédentes, et diffère également de l’irimi de Morihiro Saito par cette très étonnante inversion des jambes, ce contre-pied que nous avons relevé dans « Aiki ken #8 » :
Sur la cinquième photo ci-dessous, prise à Iwama, la ligne d’attaque est matérialisée cette fois par le tsuki de Morihiro Saito. Mais on s’aperçoit qu’O Sensei se déplace exactement de la même manière que sur les photos précédentes : le corps et le pied avant s’écartent de la ligne, mais le pied arrière, lui, reste imperturbablement immobile à ce moment de l’action :
Il semble donc bien que ce déplacement très particulier d’O Sensei ne soit pas, comme nous en avions envisagé la possibilité au début de ce dossier technique, une simple anecdote, un détail lié au déclenchement aléatoire de l’obturateur photographique dans le cours du mouvement. Il semble au contraire que ce déplacement du fondateur soit très systématiquement le même dans toutes les situations analogues.
Et nous sommes confortés dans ce sentiment en découvrant que l’on retrouve sur les irimi au ken ce qui apparaît de plus en plus comme une règle du déplacement d’O Sensei:
On voit clairement que le positionnement des pieds est strictement le même que sur les photos de tachi dori, le pied arrière reste toujours dans la ligne d’attaque, seul le pied avant quitte cette ligne :
Le tai jutsu, le ken… mais alors, si l’on compare maintenant cette position systématique d’O Sensei avec la mystérieuse position de pieds du gaeshi tsuki de notre photo de départ, et si l’on trouve qu’il s’agit une fois encore de la même position, nous pourrons affirmer avec suffisamment de certitude que ce déplacement atypique est caractéristique de l’irimi d’O Sensei :
Quelle bonne surprise, il s’agit bien de la même position, inversée comme il se doit sur ces photos puisque le ken attaque ici à droite et que le jo pique lui à gauche.
Pour nous en assurer tout à fait, nous allons retourner horizontalement la photo au jo d’O Sensei, les puristes comprendront que c’est pour la bonne cause :
Il s’agit incontestablement de la même position.
Ajoutons maintenant à cette comparaison la position du tai jutsu :
Nous pouvons conclure qu’O Sensei, chaque fois qu’il débute son irimi par un mouvement de la partie avant de son corps (nous verrons dans un autre dossier ce qui se passe quand il entre avec la partie arrière), le fait systématiquement de la même manière, en ne bougeant que cette jambe avant, et en laissant le pied arrière immobile dans la ligne d’attaque, et cela qu’il soit à mains nues, qu’il ait un ken ou qu’il ait un jo.
Mais surtout, les photos montrent qu’au moment crucial du contact, que ce soit avec le ken, avec le jo ou à mains nues, O Sensei garde ce pied arrière là où il se trouve, là d’où il n’a jamais bougé, il frappe dans cette position qui n’est donc pas une position transitoire avant la frappe, mais bien la position même de la frappe.
Nous verrons dans le prochain dossier les conséquences fondamentales que cette information va nous permettre de dégager.
Philippe Voarino, mars 2014.