Aiki ken #3 – Suburi 1 – 2ème Partie
Avertissement – La bonne compréhension du premier suburi de l’Aiki ken est d’une importance capitale pour la pratique de l’Aikido dans son ensemble (aiki ken, aiki jo et tai jutsu). Le dossier était trop long et trop lourd pour faire l’objet d’un seul cahier technique. Je l’ai donc divisé en deux parties pour faciliter sa lecture. Mais la première partie est incomplète sans la deuxième, et la deuxième ne peut pas être comprise sans la première. Je demande donc qu’on veuille bien lire les deux parties avant d’avoir un jugement sur l’objet de cette étude.
(Suite de la 1ère partie)
[Voilà un exemple des multiples confirmations de la coupe à partir de la hanche arrière, qui a été mise en lumière dans aiki ken # 2, 1ère partie.]
Le temps 3 de Happo giri consiste, à partir d’une position hidari hanmi, à couper un adversaire sur la droite avec gyaku yokomen (1-2-3), et à enchaîner cette coupe à 90° par un shomen uchikomi à 180° (4-5) pour couper un adversaire sur l’arrière :
On remarque tout de suite que le shomen uchikomi à 180° (4-5) n’est pas autre chose que le premier suburi de ken (cf. 1ère partie).
Essayons maintenant d’analyser la dynamique des forces dans cet enchaînement :
On voit clairement que la coupe shomen uchikomi (4-5) s’inscrit dans la continuité parfaite de la phase précédente gyaku yokomen (1-2-3). Les hanches pivotent du début à la fin de la séquence dans le même sens, Tout est logique, naturel et sans interruption. De ce fait, le mouvement global apparaît non pas comme la succession de deux coupes différentes, mais comme une coupe unique se développant dans deux angles successifs.
Et voilà bien pourquoi cette coupe est d’une rapidité et d’une puissance foudroyantes quand elle est exécutée de la sorte.
Imaginons maintenant un instant ce qui se passerait, si l’on pratiquait au contraire le premier suburi, c'est-à-dire la phase 4-5, avec la hanche avant pour hanche directrice :
Il y a dans ce cas un conflit évident entre la première partie du mouvement et la seconde : la rotation du gyaku yokomen (1-2-3) s’effectue dans le sens des aiguilles d’une montre, alors que la rotation du shomen uchikomi s’effectue en sens contraire des aiguilles d’une montre. Ce qui signifie qu’il faut arrêter la première partie du mouvement pour pouvoir repartir en sens contraire dans la deuxième partie : le mouvement unique et continu que nous avons analysé un peu plus haut est, de cette manière, transformé en deux mouvements distincts et contraires.
La vitesse d’exécution peut évidemment donner le change, et l’illusion que le mouvement est rapide, mais elle ne pourra jamais compenser la perte de temps inévitable liée à ce mouvement de balancier. Car un balancier doit nécessairement décélérer et s’arrêter – et ceci est d’autant plus long que sa vitesse initiale est élevée – puis il doit accélérer de nouveau d’un point zéro pour repartir dans l’autre sens. Voilà pourquoi, répétons-le, il n’existe pas de mouvement de balancier en Aikido, il n’y a que des spirales. La spirale agit de manière continue, et la puissance qu’elle dégage au terme de sa course, grâce à ce mode d’action, est infiniment supérieure à celle qui résulte du mouvement discontinu du balancier.
Nous piochons avec un peu d’ironie dans le site TAI deux excellentes photos de ce qu’il ne faut pas faire sur le premier suburi de l’aiki ken.
Ce clin d’oeil devrait suffisamment mettre en garde le lecteur quant au caractère suspect des cahiers techniques du site, antérieurs à une certaine époque, et qui doivent être considérés aujourd’hui davantage pour leur aspect historique que pour leur vérité technique :
Dans cette coupe à contre-pied, l’énergie résulte en réalité de l’effort musculaire des épaules, au lieu d’être générée par la rotation du bassin qui n’intervient ici, à contretemps et avec une course quasi nulle(sauf à reculer la jambe droite, mais on est alors dans le cadre du suburi 2, et plus dans le 1), que pour faire naître des problèmes biomécaniques insolubles.
Nous sommes donc désormais en mesure de dire quel suburi de ken O Sensei effectue sur la très belle photo de shiho nage que nous utilisons depuis le début :
Il s’agit du premier suburi de l’aiki ken, mais réalisé bien entendu comme il doit l’être en vérité, avec la hanche arrière comme hanche directrice, avec la hanche gauche :
- shiho nage sur le bras droit d’uke est le premier suburi de l’aiki ken,
- shiho nage sur son bras gauche est le deuxième suburi.
Ce qui a été dit dans ce cahier technique est difficile à admettre, je le comprends bien. Et d’ailleurs, l’aurais-je admis moi-même il y a seulement quelques années ?
Car j’ai bien-sûr enseigné pendant presque 30 ans – comme tous mes camarades – le premier suburi avec la hanche avant, c'est-à-dire à contre-sens. Nous l’avons enseigné ainsi parce que Maître Saito nous l’a enseigné ainsi. Maître Saito a enseigné de cette manière à tout le monde – y compris à son propre fils.
Aujourd’hui, je crois savoir pourquoi.
L’Aikido est bien plus protégé qu’on ne l’imagine, et ses secrets sont bien gardés. Ils sont accessibles cependant, mais pour cela certaines « erreurs » doivent être reconnues comme des leviers méthodologiques mis en place à dessein pour écarter de la connaissance tous ceux qui ne sont pas habilités à passer la porte.
La coupe à l’envers sur le premier suburi de ken n’est pas du tout un « détail technique » limité à ce suburi : c’est une modification fondamentale, c’est le moyen génial d’occulter l’ensemble de la pratique de l’aiki ken, de l’aiki jo et du tai jutsu.
Car cette inversion de la toute première coupe du ken a des conséquences incalculables sur la pratique de l’Aikido tout entier où les techniques sont conçues pour être exécutées à partir de la hanche arrière, et pas à partir de la hanche avant.
Cette inversion magistrale est passée complètement inaperçue. Elle a été tranquillement reçue et admise comme un dogme sur toute la planète aiki par les élèves directs de maître Saito, comme par tous ceux, de plus en plus nombreux, que sa maîtrise des armes de l’Aikido a influencés.
Alors, je salue ici avec un profond respect le génie de maître Saito qui a délibérément mis en place cette inversion de la coupe, afin de préserver la dimension initiatique de l’Aikido. Cet homme secret a fait ce qu’aucun autre n’a fait : lui qui savait, a enseigné toute sa vie à l’envers un fondement de l’art, afin que les diamants ne soient pas donnés à ceux qui ne font pas tout ce qu’il faut pour les recevoir, et il a ensuite emporté son secret dans la tombe. Morihiro était ce type d’homme, il était capable de perdre beaucoup pour ce qu’il croyait juste – et je parle en connaissance de cause pour l’avoir vu agir dans ces circonstances – il était plus qu’on ne l’imagine le gardien de l’Aikido.
L’idée qui l’a déterminé à agir ainsi, l’idée qui se trouve au fond de tout cela est la suivante : on ne reçoit pas l’Aikido comme une marchandise, comme un package de connaissances qu’il n’y a plus ensuite qu’à exploiter avec plus ou moins de bonheur. La vérité ne se trouve pas dans telle ou telle méthode d’enseignement qui la proposerait à l’homme sur un plateau, la vérité est comme une femme, elle se dérobe, il faut la gagner, elle n’est pas acquise de l’extérieur, il faut la chercher dans le seul endroit où elle se trouve en réalité : au fond de soi, et il faut faire ce qu’il faut pour lever le voile, coûte que coûte, il faut être digne d’apprendre.
Maître Saito a laissé tout le matériel nécessaire pour que l’Aikido d’O Sensei ne soit pas perdu, il a laissé une méthode pédagogique merveilleuse. Mais ceux qui l’ont connu savent qu’il n’a jamais laissé croire que cela était suffisant. Ce matériel ne peut pas être utilisé avec profit si – à un moment ou à un autre – le Principe n’est pas reconnu. C’est pourquoi il importe de reconnaître le Principe, ensuite, il ne faut plus s’attacher qu’à lui. Toutes les autres idoles ont leur temps, qui est juste, mais elles doivent être dépassées un jour, et il faut laisser enfin le Principe enseigner. En Aikido, le Principe se manifeste dans le mouvement.
Si toutefois une vérité existe, seul le Principe est le cœur et la clef de cette vérité. C’est cela qu’il faut entendre quand O Sensei explique qu’il ne faut pas se mesurer aux hommes, mais qu’il faut « se mesurer aux Dieux ».
Ce que j’ai compris aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi je l’ai compris. La seule réponse que je trouve c’est « parce que j’ai cherché ». Mais je ne savais même pas ce que je cherchais. Pourquoi faites-vous de l’Aikido ? Cette question paraît bien dérisoire en vérité…
Mais pourquoi est-ce que je ne garde pas pour moi ce que j’ai trouvé ? Car je pourrais me taire, je pourrais suivre l’exemple de mon maître. Pourquoi délier le secret que maître Saito a noué au prix de tant d’efforts et de tant de patience ? L’ego peut-être, l’orgueil ou la fierté de dire : « j’ai trouvé ». Ce n’est pas exclu bien-sûr. Peut-être y a-t-il une autre raison. Je ne sais pas, ces choses là me dépassent.
Mais j’ai le sentiment que transmettre cette vision dans mes cours et sur le site TAI est un moyen de mieux comprendre, c’est un moyen d’avancer, le seul moyen dont je dispose à vrai dire maintenant que mes maîtres sont morts, maintenant qu’il n’y a plus personne devant moi pour me montrer la route, maintenant que je suis seul avec tous ceux qui me font l’honneur et l’amitié de me suivre.
Ce n’est peut-être pas une justification, mais c’est ma condition, je ne l’ai pas choisie, et j’y suis parvenu par mes propres moyens. J’habite désormais ma propre maison, tous ceux qui cherchent avec sincérité y sont bienvenus.
Philippe Voarino, janvier 2014.