Bonjour Eric.
J’ai regardé la vidéo de Gozo Shioda en lien. Je te remercie. Cela m’a conforté dans le sentiment que certains élèves d’O sensei ont témoigné de son Aikido de manière plus authentique et plus profonde que d’autres. Je ne trouve pas en effet chez Tohei, Shioda ou Saito le travail convenu qui caractérise tant d’élèves de la dernière génération ayant connu le Fondateur. Ces trois là ont quelque chose en commun qui mérite véritablement qu’on y consacre une étude approfondie sous l’angle de la comparaison technique. Et cette étude permettrait je pense de montrer qu’il n’y a pas de technique secrète en Aikido, mais qu’il existe un chemin, parmi tant de voies de traverses. Ce chemin, si on le suit, découvre étape après étape, les paysages de l’art que nous propose Ueshiba. Je suis frappé par un point commun entre le travail d’O Sensei et celui de ces trois élèves : la très grande décontraction du corps. Les articulations sont relâchées de telle manière qu’elles ne constituent pas un obstacle à l’énergie générée par le moteur du mouvement. C’est ce genre de choses qu’on découvre aux détours du chemin en question.
Bien sûr tout le monde « sait » qu’il faut être décontracté, tout le monde l’a entendu mille fois, tout le monde l’a « compris ». Mais moi j’ai compris aujourd’hui qu’on peut entendre une chose pendant longtemps, la répéter, voire l’enseigner, sans pour autant la comprendre dans sa réalité profonde et dans ses implications. S’il y a un secret, peut-être réside-t-il dans cette vérité liée à l’apprentissage de tout art : il y a loin de la coupe aux lèvres. Nous confondons trop souvent et trop longtemps nos illusions et les promesses de l’art. Nous croyons qu’il suffit de nommer une chose pour la saisir. Nous sommes d’incurables bavards. N’importe quelle femme connaît bien les limites des belles paroles. Pas plus qu’une femme sensée l’aiki ne se laisse approcher par les imposteurs.
Il m’est difficile de développer ici davantage ce genre de considération qui demande bien sûr une argumentation et des exemples. J’essaierai de me mettre à ce travail dans le cadre des dossiers techniques.
Ta deuxième question est elle aussi le genre de sujet qu’il est difficile de traiter en quelques phrases. O Sensei a expliqué que pour vaincre un adversaire il faut savoir lui donner ce dont il manque. C’est en agissant de la sorte que l’Univers est toujours vainqueur : l’Univers complète toute chose, c’est ainsi que tout tient en équilibre toujours. C’est la victoire de l’Univers. Le déséquilibre lui-même est la source d’un équilibre nouveau. On pourrait traduire cette notion par la formule de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Les Chinois, pour faire comprendre ce principe, ont donné deux noms à deux « forces » (j’utilise ce mot qui n’est pas satisfaisant) complémentaires : le yin et le yang. Le mouvement d’Aikido doit être ajusté de telle manière que toujours le dosage de l’action de tori tienne compte du dosage de l’action d’uke afin qu’un équilibre constant soit atteint. C’est ce qu’O Sensei exprimait par le kuden « 4 plus 6 égalent 10, 5 plus 5 égalent 10, 2 plus huit égalent 10 . » Si uke arrive sur moi comme une locomotive et que son énergie est de 7 ou de 8, je dois accepter cette puissance pour ce qu’elle est et la compléter par ce qui lui manque exactement pour aller à 10. C’est l’action qu’on appelle en Aikido tenkan. Si l’énergie d’uke est faible au contraire, de l’ordre de 2 ou 3, je dois adopter la même attitude et la compléter à 10 en utilisant l’action symétrique qu’on appelle en Aikido irimi.
En agissant de la sorte, je calque mon attitude sur celle de l’Univers qui équilibre toute chose. C’est dans ce sens que je peux alors dire avec O Sensei « Je suis l’Univers ». Non pas parce que mon ego a enflé, comme celui de la grenouille, à la taille de l’Univers, mais au contraire parce que j’ai eu l’humilité de regarder le fonctionnement de l’Univers, d’y conformer mes actions et de devenir ce faisant partie intégrante de cet Univers, identique au Tout, et pour cette raison fort de la force même de ce Tout qui est en moi comme je suis en lui.
On peut noter au passage que l’attitude inverse, celle qui consiste à vouloir forcer les choses, à imprimer sa marque coûte que coûte, à passer sur le ventre de l’autre, à agir sans tenir compte des contraintes et des conséquences de l’action dans le milieu où elle s’exerce, a conduit la société moderne là où elle se trouve aujourd’hui : dans une impasse environnementale.
Philippe Voarino
Commentaires
Soumis par Anonyme (non vérifié) le jeu, 06/03/2008 - 23:10 - Permalien
Bonsoir, Philippe,..."ça fait plaisir de te revoir..."
- il y a quelques mois je te posais la question des techniques secrètes d’avant guerre, enseignées à quelques initiés, "disciples", tels SHIODA Sensei ou SHIRATA Sensei, et tu promettais une étude analogique des pratiques au delà des "secrets", qui n’existent pas à tes yeux... je te propose donc ce premier lien à commenter de tes connaissances et dires de SAITO Sensei, qui, j’en suis sûr, n’a pu manquer de partager cette époque avec toi, merci de commenter l’ensemble de la vidéo ou d’y adjoindre la traduction de Shioda Sensei...
peux- tu développer concrètement ou sur le tapis ce à quoi cela renvoie, des exemples pratiques ???
Bien à toi
Eric
Soumis par Anonyme (non vérifié) le jeu, 06/03/2008 - 23:15 - Permalien
désolé, ci joint le lien :
Eric
Soumis par Anonyme (non vérifié) le jeu, 06/03/2008 - 23:21 - Permalien
you tube - Aikido bubo Shioda,
vraiment désolé, le lien passe pas
Eric
Soumis par Anonyme (non vérifié) le ven, 07/03/2008 - 22:23 - Permalien
c’est dur l’informatique.............
Soumis par admin le mar, 11/03/2008 - 18:57 - Permalien
Bonsoir, Philippe,..."ça fait plaisir de te revoir..." - il y a quelques mois je te posais la question des techniques secrètes d’avant guerre, enseignées à quelques initiés, "disciples", tels SHIODA Sensei ou SHIRATA Sensei, et tu promettais une étude analogique des pratiques au delà des "secrets", qui n’existent pas à tes yeux... je te propose donc ce premier lien à commenter de tes connaissances et dires de SAITO Sensei, qui, j’en suis sûr, n’a pu manquer de partager cette époque avec toi, merci de commenter l’ensemble de la vidéo ou d’y adjoindre la traduction de Shioda Sensei...
Ma seconde question porte sur une citation qui revient souvent dans les propos d’O Sensei, et dont tu parles dans les stages ou le forum :" l’AIKIDO a été créé ou basé, organisé,... selon les principes de l’Univers"... peux- tu développer concrètement ou sur le tapis ce à quoi cela renvoie, des exemples pratiques ???
Bien à toi
Eric
techniques d’avant-guerre et principes de l’Univers
Soumis par philippevoarino le dim, 23/03/2008 - 12:41 - Permalien
Bonjour Eric.
J’ai regardé la vidéo de Gozo Shioda en lien. Je te remercie. Cela m’a conforté dans le sentiment que certains élèves d’O sensei ont témoigné de son Aikido de manière plus authentique et plus profonde que d’autres. Je ne trouve pas en effet chez Tohei, Shioda ou Saito le travail convenu qui caractérise tant d’élèves de la dernière génération ayant connu le Fondateur. Ces trois là ont quelque chose en commun qui mérite véritablement qu’on y consacre une étude approfondie sous l’angle de la comparaison technique. Et cette étude permettrait je pense de montrer qu’il n’y a pas de technique secrète en Aikido, mais qu’il existe un chemin, parmi tant de voies de traverses. Ce chemin, si on le suit, découvre étape après étape, les paysages de l’art que nous propose Ueshiba. Je suis frappé par un point commun entre le travail d’O Sensei et celui de ces trois élèves : la très grande décontraction du corps. Les articulations sont relâchées de telle manière qu’elles ne constituent pas un obstacle à l’énergie générée par le moteur du mouvement. C’est ce genre de choses qu’on découvre aux détours du chemin en question.
Bien sûr tout le monde « sait » qu’il faut être décontracté, tout le monde l’a entendu mille fois, tout le monde l’a « compris ». Mais moi j’ai compris aujourd’hui qu’on peut entendre une chose pendant longtemps, la répéter, voire l’enseigner, sans pour autant la comprendre dans sa réalité profonde et dans ses implications. S’il y a un secret, peut-être réside-t-il dans cette vérité liée à l’apprentissage de tout art : il y a loin de la coupe aux lèvres. Nous confondons trop souvent et trop longtemps nos illusions et les promesses de l’art. Nous croyons qu’il suffit de nommer une chose pour la saisir. Nous sommes d’incurables bavards. N’importe quelle femme connaît bien les limites des belles paroles. Pas plus qu’une femme sensée l’aiki ne se laisse approcher par les imposteurs.
Il m’est difficile de développer ici davantage ce genre de considération qui demande bien sûr une argumentation et des exemples. J’essaierai de me mettre à ce travail dans le cadre des dossiers techniques.
Ta deuxième question est elle aussi le genre de sujet qu’il est difficile de traiter en quelques phrases. O Sensei a expliqué que pour vaincre un adversaire il faut savoir lui donner ce dont il manque. C’est en agissant de la sorte que l’Univers est toujours vainqueur : l’Univers complète toute chose, c’est ainsi que tout tient en équilibre toujours. C’est la victoire de l’Univers. Le déséquilibre lui-même est la source d’un équilibre nouveau. On pourrait traduire cette notion par la formule de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » Les Chinois, pour faire comprendre ce principe, ont donné deux noms à deux « forces » (j’utilise ce mot qui n’est pas satisfaisant) complémentaires : le yin et le yang. Le mouvement d’Aikido doit être ajusté de telle manière que toujours le dosage de l’action de tori tienne compte du dosage de l’action d’uke afin qu’un équilibre constant soit atteint. C’est ce qu’O Sensei exprimait par le kuden « 4 plus 6 égalent 10, 5 plus 5 égalent 10, 2 plus huit égalent 10 . » Si uke arrive sur moi comme une locomotive et que son énergie est de 7 ou de 8, je dois accepter cette puissance pour ce qu’elle est et la compléter par ce qui lui manque exactement pour aller à 10. C’est l’action qu’on appelle en Aikido tenkan. Si l’énergie d’uke est faible au contraire, de l’ordre de 2 ou 3, je dois adopter la même attitude et la compléter à 10 en utilisant l’action symétrique qu’on appelle en Aikido irimi.
En agissant de la sorte, je calque mon attitude sur celle de l’Univers qui équilibre toute chose. C’est dans ce sens que je peux alors dire avec O Sensei « Je suis l’Univers ». Non pas parce que mon ego a enflé, comme celui de la grenouille, à la taille de l’Univers, mais au contraire parce que j’ai eu l’humilité de regarder le fonctionnement de l’Univers, d’y conformer mes actions et de devenir ce faisant partie intégrante de cet Univers, identique au Tout, et pour cette raison fort de la force même de ce Tout qui est en moi comme je suis en lui.
On peut noter au passage que l’attitude inverse, celle qui consiste à vouloir forcer les choses, à imprimer sa marque coûte que coûte, à passer sur le ventre de l’autre, à agir sans tenir compte des contraintes et des conséquences de l’action dans le milieu où elle s’exerce, a conduit la société moderne là où elle se trouve aujourd’hui : dans une impasse environnementale.
Philippe Voarino