Le repérage des six directions intérieures et des six directions extérieures dont parle O Sensei nous a menés jusqu’à la découverte qu’un homme debout dans la position hanmi (roppo), a huit irimi distincts à sa disposition, groupés deux par deux, et tous construits à partir d’une logique unique (cf. « Roppo #2 et #3 »).

Ces huit irimi sont en rapport avec les huit trigrammes fondamentaux de Fuxi (qui sont eux-mêmes à l’origine des 64 hexagrammes du Yi King).

Le déplacement physique du pratiquant d’Aikido est donc en rapport avec les modalités de la manifestation du Ciel et de la Terre telles que les enseigne la tradition chinoise :

Comme nous l’avons vu dans « Roppo #2 et #3 », chacun de ces huit irimi coupe deux adversaires en un mouvement unique, c’est la réponse de l’Aiki aux attaques venant des quatre directions.

Mais quatre de ces huit irimi (un dans chaque quartier) permettent de couper trois adversaires en un mouvement unique, c’est la réponse de l’Aiki aux attaques venant des huit directions.

Pour comprendre le déplacement qui autorise ainsi la coupe de plusieurs adversaires en un mouvement unique, il faut s’entraîner activement à mettre en pratique la rotation qui propulse le corps comme une toupie au cœur de l’attaque adverse, dans cette position des pieds caractéristique de l’action aiki, et qui n’est pas du tout, il faut le répéter ici encore, la position hanmi (cf. sur ce point « Le déplacement d’O Sensei »):

L’apprentissage du déplacement qui s’harmonise à une telle rotation, et qui autorise à couper en un mouvement unique, exige évidemment l’exemple et l’appui d’une démonstration physique, et rien ne remplacera jamais les instructions données sur un tatami par un professeur au courant de ces choses.

Je voudrais simplement attirer ici l’attention sur le fait qu’il est possible de rendre compte de l’ordre des frappes au moyen de la grille de lecture des trigrammes de Fuxi :

Au stade élémentaire où se situe actuellement ma compréhension des trigrammes, il ne m’est pas possible de tirer les conséquences de la relation qui les unit aux déplacements de l’Aikido.

Mais je crois qu’une interprétation future pourrait s’articuler autour de l’idée suivante : les trigrammes ne parlent pas de l’essence des choses, d’une vérité fondamentale qui serait cachée au cœur des choses, ils parlent du processus, du mouvement de ces choses dans leur transformation, ils sont les signes d’états de passage changeants selon une loi régulière et immuable, cette loi étant complexe dans ses effets, mais remarquablement simple dans son principe.

Or le déplacement d’Aikido est tout à fait analogue : il transforme le rapport physique et martial de plusieurs corps humains dans l’espace, en faisant passer ce rapport d’un état antérieur à un état postérieur, dont le nouvel ordre (sabaki) est établi selon une loi unique, constante, et fort simple, du mouvement idéal réalisable par le corps (tai sabaki) de l’homme en nécessité de quitter le lieu de convergence des attaques multiples.

Les 8 irimi qui représentent les options d’action de cet homme dans une telle situation, sont ainsi à l’origine de l’infinité des formes techniques de l’Aikido, comme les 8 trigrammes sont, pour la Chine archaïque, à l’origine de l’infinité des processus du monde. Et cette organisation autour du nombre 8 évoque fortement les huit pouvoirs (hachi riki) qui furent une préoccupation constante du fondateur de l’Aikido, aussi bien dans ses discours que dans ses écrits :

Il n’y a pas plus de hasard à l’existence des 8 irimi de l’Aikido qu’il n’y en a à celle des 8 trigrammes de Fuxi.

Philippe Voarino, Cape Clear, le 25 décembre 2014.