Après avoir découvert les 12 directions (6 directions intérieures et 6 directions extérieures) auxquelles Morihei Ueshiba fait explicitement référence dans son livre « Budo », après avoir – je pense – démontré géométriquement comment ces déplacements son organisés à partir de la position hanmi, et après avoir ainsi aidé à comprendre – je l’espère – pourquoi cette position hanmi était appeléee roppo (six directions) par O Sensei, je ressentis quelque chose de l’ordre de ce qu’avait du éprouver Heinrich Schliemann sur la butte d’Hissarlik après les premiers coups de pelle et les premières trouvailles archéologiques : il n’y avait plus de doute, la ville de Troie était bien là, mais sous combien de mètres de terre encore ?

J’étais en présence d’une clef fondamentale pour la compréhension de l’Aikido du Fondateur. Mais cette clef était encore en grande partie dissimulée, mon corps n’arrivait pas à assimiler cette connaissance de manière satisfaisante, et la vision intellectuelle que j’en avais me semblait incomplète, sans que je sache dire vraiment pourquoi. Quelque chose manquait que je ne parvenais pas à définir.

J’ai donc décidé de ne plus rien écrire avant d’y voir plus clair, et j’ai travaillé ces derniers mois d’une manière intensive pour tenter de comprendre véritablement ce que j’avais trouvé. L’objectif était de mieux percevoir l’univers – nouveau pour moi – qui commençait à prendre forme sous mes yeux, l’univers familier cependant d’O Sensei, fort différent de l’Aikido propédeutique qui avait occupé mon horizon de manière exclusive ces 35 dernières années. Pendant longtemps, et sans qu’il s’en doute, la préparation à l’Aikido dissimule l’Aikido aux yeux du pratiquant, l’Aikido linéaire cache l’Aikido multidirectionnel.

Je n’ai rien à changer aux 2 x 6 = 12 directions qui ont été décrites en détail dans les cahiers techniques. Elles constituent le socle indispensable de la connaissance, et je renvoie à l’étude de ces dossiers. C’est seulement à partir de cette base que peut devenir visible et intelligible le merveilleux système de déplacement de l’Aikido dont je vais essayer maintenant de donner l’idée. Résumons d’abord ces 12 directions en rappelant le point le plus essentiel : ces 12 possibilités naissent de la position hanmi, et de la position hanmi uniquement.

Partons donc de la position ken no kamae, migi hanmi (hanmi droit), comme sur la photo d’O Sensei :

Croquis 1

Chaque pied a deux choix : il peut tourner dans le sens des aiguilles d’une montre, ou dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

Si le pied droit tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, il tourne vers le ventre de l’homme, vers le nombril si l’on veut, vers l’intérieur de la sphère humaine, c’est une rotation vers l’intérieur. Ce pied droit peut ainsi s’intéresser à la direction B, à la direction C, et à la direction A. Mais il ne peut pas aller jusqu’à la direction D qui est hors de portée de sa rotation.

Les directions B, C, et A qu’il atteint par cette rotation vers l’intérieur sont appelées pour cette raison, et dans ce contexte, des directions intérieures.

Si le pied droit tourne au contraire dans le sens des aiguilles d’une montre, il tourne vers le dos de l’homme, vers l’extérieur de la sphère humaine, c’est une rotation vers l’extérieur. Ce pied droit peut ainsi s’intéresser à la direction D, à la direction A, et à la direction C. Mais il ne peut pas aller jusqu’à la direction B qui est hors de portée de sa rotation.

Les directions D, A, et C qu’il atteint par cette rotation vers l’extérieur sont appelées pour cette raison, et dans ce contexte, des directions extérieures.

Si le pied gauche tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, il tourne vers le ventre de l’homme, vers le nombril, vers l’intérieur de la sphère humaine, c’est une rotation vers l’intérieur. Ce pied gauche peut ainsi s’intéresser à la direction C, à la direction B, et à la direction D. Mais il ne peut pas aller jusqu’à la direction A qui est hors de portée de sa rotation.

Les directions C, B, et D qu’il atteint par cette rotation vers l’intérieur sont appelées pour cette raison, et dans ce contexte, des directions intérieures.

Si le pied gauche tourne au contraire dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, il tourne vers le dos de l’homme, vers l’extérieur de la sphère humaine, c’est une rotation vers l’extérieur. Ce pied gauche peut ainsi s’intéresser à la direction A, à la direction D, et à la direction B. Mais il ne peut pas aller jusqu’à la direction C qui est hors de portée de sa rotation.

Les directions A, D, et B qu’il atteint par cette rotation vers l’extérieur sont appelées pour cette raison, et dans ce contexte, des directions extérieures.

On peut vérifier qu’il y a bien de la sorte six directions extérieures (DAC et ADB), six directions intérieures (BCA et CBD), une spirale intérieure, et une spirale extérieure, ainsi que l’enseignait et l’écrivait O Sensei :

Concernant le déplacement, il y a six directions extérieures (soto roppo), six directions intérieures (uchi roppo), et également une spirale extérieure (soto tomoe) et une spirale intérieure (uchi tomoe). — Morihei Ueshiba, « Budo », 1938, page 9 de la version japonaise.

Nota bene : cette phrase est traduite directement de la version japonaise et ne peut être trouvée ni dans la traduction anglaise ni dans la traduction française qui sont incomplètes (cf. sur ce point « Le déplacement d’O Sensei # 1 »).

Règle
Chaque fois qu’un pied bouge il ne le fait pas seul évidemment, il est suivi naturellement par le second pied selon la règle suivante, qui est une conséquence nécessaire de la rotation qui porte en Aikido le nom d’irimi-tenkan :

Quand le premier pied, quel qu’il soit, se déplace vers l’intérieur, le deuxième pied, se déplacera toujours nécessairement vers l’extérieur. Quand le premier pied, quel qu’il soit, se déplace vers l’extérieur, le deuxième pied se déplacera toujours nécessairement vers l’intérieur.

Les 4 x 3 = 12 directions permettent ainsi de frapper un adversaire d’où qu’il vienne dans les 360° du cercle, en faisant irimi, c'est-à-dire en pénétrant dans la garde adverse tout en quittant dans le même temps, la position où convergeaient les attaques, à l’instant précédent.

Mais quelque chose manque cependant : appliquées de la sorte, ces 12 directions ne permettent de frapper qu’un seul adversaire à la fois.

Or l’irimi de l’Aikido est plus complet que cela, il possède une vertu remarquable qui a été perdue de vue depuis la mort d’O Sensei : l’irimi de l’Aikido est conçu pour frapper deux adversaires dans la même rotation, et cela quelle que soit la direction initiale choisie parmi les 12 directions possibles.

Ce résultat ne peut être obtenu sans la parfaite compréhension du système de déplacement utilisé par O Sensei. Nous allons essayer de l’expliquer.

A Jeannine, à tout ce que le développement de l’Aikido en Europe lui doit, depuis la fin des années 1950. Elle a donné avec générosité, elle n’a rien demandé en échange, elle a donné tout son sens au mot amitié.
Merci.

Ce 19 novembre 2014.
Philippe Voarino