Les ouvrages techniques que maître Saito a écrit dans les dernières années de sa vie font apparaître une cristallisation de la méthode, un renforcement de tous les moyens pédagogiques, dans le but de fixer, une fois pour toutes et pour tous, les modèles les plus susceptibles de préserver des connaissances qui, autrement, auraient au fil du temps toutes les chances de se perdre dans les méandres des interprétations techniques hasardeuses, et des modifications arbitraires qui les suivent inévitablement.

Il en est ainsi par exemple de la technique shomen uchi ikkyo illustrée sur la vidéo. Ni O Sensei, ni maître Saito quand il était plus jeune, ne faisaient shomen uchi ikkyo ainsi que la technique est expliquée dans les livres que ce dernier a publiés à la fin de sa vie. La distance (maai) de départ était différente et exigeait, aussi bien de tori que d’uke, de prendre un pas vers l’avant avec la jambe arrière pour parvenir au contact de l’adversaire.

Dans ce mouvement, il y avait deux possibilités pour tori : ou bien il parvenait à faire ce pas vers l’avant et il pouvait alors entrer la technique ikkyo omote – et omote seulement, ura étant dans ce contexte impossible – ou bien il ne parvenait pas à faire ce pas et se trouvait, sous la pression d’uke, obligé de pivoter sur son pied avant, et de faire ikkyo ura, omote étant dans ce contexte impossible.

Le choix entre ikkyo omote et ikkyo ura est donc décidé par le rapport des deux corps dans l’espace, à un moment donné du temps qui les relie, ce n’est pas un choix arbitraire de tori.

A la fin de sa vie, maître Saito obligeait à débuter ikkyo omote au point de rencontre des deux avant-bras, ce qui n’est pourtant qu’une étape intermédiaire, un temps secondaire dans l’exécution véritable de ce mouvement. Cette situation artificielle semble laisser à tori le choix de faire ikkyo omote ou ikkyo ura. En réalité l’exécution d’ura dans ce contexte n’est possible que dans la mesure où uke autorise le demi pas vers l’avant de tori qui a besoin d’aligner ses orteils avec les siens afin de pouvoir pivoter.

Si ce pas de tori doit être autorisé par uke c’est qu’il est en réalité impossible à tori – dans la position de puissance où se trouve uke à ce moment précis – d’enlever son appui arrière sans être immédiatement dominé par uke.

Comprendre les raisons pédagogiques qui ont poussé maître Saito à rigidifier les modèles d’enseignement, n’empêche pas de reconnaître les impossibilités matérielles qui sont liées à des codifications extrêmes telles que celle qui est analysée ici. Encore une fois, il est nécessaire de voir clairement que la méthode est un outil pédagogique qu’il ne faut pas confondre avec la réalité des mouvements d’Aikido.

Philippe Voarino, octobre 2018.