Les six directions extérieures

Les 3 dernières directions extérieures sont initiées par le pied arrière

Direction extérieure n°6

Dans la direction extérieure n°6, aite, l’adversaire, vient de l'avant :

La direction extérieure n°6 est illustrée par la photo suivante d’O Sensei :

Je rends hommage au photographe inconnu qui a fixé ce moment parfait, et je remercie le destin qui a permis à ce cliché de nous parvenir, en dépit des conditions de conservation visiblement difficiles que le temps lui a imposées.

La direction extérieure n°6 exige de tori qu’il se déplace dans le secteur le plus éloigné accessible par sa jambe arrière, c'est-à-dire le secteur II ci-dessous :

Cette 6ème direction extérieure est donc parfaitement symétrique à la 6ème direction intérieure (cf. Déplacement d’O Sensei #4) : alors qu’intérieure 6 exigeait d’ouvrir l’avant du corps (avec hito e mi) pour que l’arrière puisse atteindre le secteur à 270° par l’intérieur, extérieure 6 exige au contraire de fermer l’avant du corps (avec l’opposé sans nom d’hito e mi) pour que l’arrière puisse atteindre le secteur à 270° par l’extérieur.

Parfait équilibre du yin et du yang. Et ceci nous met sur la piste d’une correspondance deux à deux des 12 directions, mais nous laisserons ce point riche de promesses pour plus tard.

Cette dernière direction conclut la série des 12 déplacements possibles à partir de la position hanmi (6 intérieurs + 6 extérieurs), qui caractérisent l’Aikido, et qui ont été analysés dans cette étude sur le déplacement d’O Sensei.

J’ai bien conscience de l’effort d’attention particulièrement ardu que j’ai demandé au lecteur tout au long de ces dix derniers cahiers techniques. Rien de ce qui a été expliqué n’est facile, et je comprends parfaitement que tout cela ressemble au premier abord à un casse-tête chinois (et nous verrons en quoi cette allusion à la Chine est bien plus qu’une manière de parler).

Pourtant, je n’ai pas compliqué les choses par plaisir. Le système de déplacement de l’Aikido obéit à des lois qui doivent être étudiées, si l’on veut faire de l’Aikido, tout comme doivent être étudiées les lois de la musique ou de la physique, si l’on veut devenir musicien ou physicien.

Et je me permets d’aller au devant du reproche qui me sera peut-être fait de trop vouloir théoriser des choses dites naturelles.

Il existe en effet un préjugé selon lequel chacun est à même de découvrir spontanément et librement le mouvement d’Aikido juste, au prétexte que l’Aikido est universel, et qu’il y aurait du coup autant de manières de faire de l’Aikido qu’il y a d’individus.

Cette idée c’est en réalité l’ignorance et la paresse qui se donnent la main pour avoir bonne conscience, et bercer l’homme d’illusions.

C’est tout le contraire : sans respect rigoureux des lois, rien ne fonctionne. On ne met pas un satellite en orbite autour de la terre sans tenir compte des lois de la pesanteur. Or les lois ne dépendent pas des choix ou des goûts de l’homme : elles sont. Il n’est pas dans le pouvoir de l’homme de les ignorer ou de les modifier, il ne peut que s’y soumettre, tout comme il se soumet à l’action de respirer, de boire, ou de manger, s’il veut vivre.

Les lois du déplacement d’O Sensei qui ont été mises en évidence ne sont pas discutables, parce que ces lois sont d’ordre mathématique, et qu’elles sont démontrables et vérifiables avec une règle un compas et un rapporteur, par qui veut bien se donner la peine. Elles ne reflètent pas du tout l’opinion d’un individu. Il faut d’abord les reconnaître, puis les comprendre. C’est après seulement qu’on peut les admirer.

Mais les mettre en question, les discuter – qui plus est avant même de les avoir simplement vues – c’est se mettre au même rang que le Créateur, ou disons que la Création, ou encore, pour parler comme les Chinois, que le Ciel. Voilà bien une ridicule monstruosité de l’ego.

Il est vrai toutefois que connaître ces lois, et tenter de les mettre en application sur le tapis, ne suffira pas à faire de chaque pratiquant d’Aikido un nouvel O Sensei. Car le fondateur de l’Aikido, s’il possédait bien cette maîtrise du déplacement, possédait en même temps quelque chose de plus, dont il serait tout à fait inutile de débattre ici.

Cependant, si la connaissance des lois du déplacement ne garantit pas d’atteindre aux exploits de maître Ueshiba, il est maintenant bien établi en revanche que leur ignorance ferme irrémédiablement les portes de l’Aikido. Les 12 possibilités d’irimi, à partir de la position hanmi, sont en effet le fondement sur lequel repose toute la merveilleuse construction de cet art.

Sans la connaissance des six directions intérieures et des six directions extérieures, il ne reste plus qu’une voie pour pratiquer malgré tout l’Aikido, et je suis au regret de dire que c’est cette voie qu’ont emprunté – à leur insu – l’immense majorité des héritiers d’O Sensei : la parodie.

Je rappelle une fois encore le texte fondateur d’O Sensei, qui m’a guidé jusqu’aux 12 irimi de l’Aikido, car on ne s’imprégnera jamais assez de ce qui est écrit là :

  1. « …ouvrez vos pieds dans les six directions, et faites face à l’adversaire dans la position hanmi irimi de l’Aiki. »
  2. « Concernant le déplacement, il y a six directions extérieures (soto roppo), six directions intérieures (uchi roppo), et également une spirale extérieure (soto tomoe) et une spirale intérieure (uchi tomoe). »
  3. « A la fin de chaque mouvement, ouvrez toujours les pieds dans les six directions (roppo), il est nécessaire de s’entraîner ainsi. »

Ce texte – écrit de la main d’O Sensei dans « Budo » en 1938 – a été malmené par les traductions anglaise et française, qui l’ont déformé jusqu’à le rendre incompréhensible. Plus grave encore, certains morceaux ont tout simplement été oubliés par les traducteurs (cf. Le déplacement d’O Sensei #1).

Or, sans ces quelques lignes du texte original japonais, jamais sans doute je n’aurais pu remonter jusqu’au déplacement authentique d’O Sensei, en tirant le fil rouge au long duquel étaient accrochées ces 12 directions. En allant ainsi d’émerveillement en émerveillement, la sensation que j’ai eue est véritablement celle d’une pêche miraculeuse.

Ces lignes, laissées là par Morihei Ueshiba à l’intention de ceux qui pourraient les comprendre, livrent bien plus sur l’Aikido que tous les ouvrages techniques réunis.

Je réitère donc la question que j’ai posée à John Stevens (traducteur de « Budo » en anglais), en débutant cet exposé des six directions intérieures et des six directions extérieures (cf. Le déplacement d’O Sensei #1), puisque je n’ai toujours pas reçu de réponse à ce jour :

« Pourquoi une partie des propos d’O Sensei n’a-t-elle pas été traduite, et pourquoi la partie restante a-t-elle été traduite avec une distance si grande du sens original qu’elle empêche toute compréhension ? »

Cette question me semble désormais étayée par une étude sérieuse, et c’est un euphémisme de dire qu’elle ne soulève pas un point de détail de l’histoire de l’Aikido. Elle touche des centaines de milliers de pratiquants à travers le monde, qui aimeraient comprendre pourquoi leur a ainsi été fermé l’accès à la compréhension de l’Aikido du Fondateur.

Une clef a été perdue. Je ne vois personne, dans le monde de l’Aikido, qui enseigne les six directions. Reste-t-il quelqu’un au Japon qui possède encore cette connaissance ? J’ai le sentiment qu’un aspect primordial et essentiel de l’enseignement d’O Sensei a été occulté. Pourquoi ? Je ne vois pas en tout cas que cela soit légitime. Je ne vois pas non plus que cela soit bon.

Philippe Voarino
21 juin 2014